BETA

Cette traduction inédite en français a été réalisée par Laurent Vannini et coordonnée par Hélène Le Dantec-Lowry sur un financement ANR - programme IDEX (©) dans le cadre du projet de recherche Écrire l’histoire depuis les marges - HDML.

Référence du texte traduit :
Dorothy B. Porter, « Sarah Parker Remond, Abolitionist and Physician », The Journal of Negro History, vol. 20, n. 3 (juillet 1935), Association for the Study of African American Life and History (ASALH), p. 287-293.

>>> Voir les publications du Journal of Negro History sur Jstor

Notice de la traduction :
Dorothy B. Porter (1905-1995), une bibliothécaire au service de l’histoire des Noirs aux États-Unis
Par Hélène Le Dantec-Lowry


Dorothy Burnett Porter

25 mai 1905, Warrenton, Virginie — 17 décembre 1995

JPEG - 467.9 ko

S’attachant à documenter l’histoire des africains américains, Dorothy Burnett Porter, outre la publication d’articles et d’ouvrages, a organisé et enrichi le fond du Moorland-Spingarn Research Center de la Howard University dès 1932, regroupant des documents et des objets relatifs à la culture des africains-américains.




Références de citation

Burnett Porter Dorothy, Vannini Laurent (trad.) (2018). “Dorothy B. Porter, « Sarah Parker Remond, abolitionniste et femme médecin »”, in Le Dantec-Lowry Hélène, Parfait Claire, Renault Matthieu, Rossignol Marie-Jeanne, Vermeren Pauline (dir.), Écrire l’histoire depuis les marges : une anthologie d’historiens africains-américains, 1855-1965, collection « SHS », Terra HN éditions, Marseille, ISBN: 979-10-95908-01-2 (http://www.shs.terra-hn-editions.org/Collection/?Dorothy-B-Porter-Sarah-Park (...))

Exporter les références de citation (compatible avec les gestionnaires de références bibliographiques)
RIS
BibTeX


Licence Creative Commons

Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
JPEG - 6.1 ko

Sarah Parker Remond © Marilyn Richardson

Crédits - Marilyn Richardson

Traduction de Laurent Vannini
Coordination d’Hélène Le Dantec-Lowry


Voici soixante-dix ans, le nom de Sarah Parker Remond 1 était célèbre sur au moins deux continents auprès de milliers de personnes qui s’intéressaient au mouvement pour l’abolition de l’esclavage. Dotée d’une intelligence et d’un talent remarquables, cette femme noire libre fut l’une des rares conférencières de son sexe et de sa race qui, à l’époque de Garrison, inspirait le respect de Lords et de maires, ainsi que celle de milliers de simples citoyens, et ce au nom des esclaves noirs opprimés.
Sarah Remond, fille de John et Nancy Remond 2, naquit aux environs de 1815 à Salem, dans le Massachussetts. Son père, originaire de l’île de Curaçao, n’était encore qu’un enfant lorsqu’il vint en Amérique. Il devint plus tard un coiffeur réputé de Salem et, le 2 mai 1811, il obtint la citoyenneté du tribunal du Comté d’Essex 3. Sarah Remond avait un bon niveau d’éducation et reçut probablement son instruction primaire dans les écoles de Salem, tout comme son frère Charles Lennox Remond. À Salem, les enfants de Noirs pouvaient fréquenter les écoles publiques de la ville bien avant que cela ne fût autorisé dans certaines autres villes.
Charles Lennox Remond, le premier Noir à prendre la parole devant des auditoires américains au sujet de l’abolition de l’esclavage, et le Noir le plus célèbre avant l’émergence de Frederick Douglass, a sans doute joué un rôle important dans le choix de sa sœur de devenir une conférencière publique. En 1856, tous deux furent sollicités par le comité de direction de la Société Américaine Contre l’Esclavage 4 pour prendre la parole durant une campagne contre l’esclavage dans l’État de New York. Une série de conférences furent organisée, auxquelles participèrent de nombreux orateurs prestigieux de l’époque. En de nombreuses occasions durant ces tournées de conférences, Sarah et son frère furent couverts d’injures, principalement en raison de leur couleur de peau. Les hôtels et les pensions de famille qui accueillaient Susan B. Anthony refusaient d’héberger Sarah et Charles, et ce en dépit de leur degré d’éducation et de leur raffinement. Une fois, alors que Charles Remond se trouvait dans la maison d’un ami anti-esclavagiste du Comté de Washington, dans l’État de New York, un voisin leur rendit visite et déclara qu’une famille du voisinage était mise à l’écart, car atteinte de la variole. Personne ne souhaitait les approcher pour leur venir en aide. M. Remond exprima sa compassion à leur égard et souligna : « Être gens de couleur, cela revient à souffrir de la variole, mais en permanence 5 ».
Dans les premiers temps de sa carrière de conférencière, Sarah Remond donna des conférences publiques en compagnie de son frère, principalement dans l’Ouest du pays. Tous deux parvinrent à faire tomber une grande partie des préjugés qui subsistaient dans cette région contre les personnes de couleur. Sarah mettait à profit toutes circonstances pour combattre et surmonter les discriminations raciales et les ressentiments à l’égard des Noirs. Au cours de l’année 1853, elle fut expulsée du Howard Athenæum de New York 6 après qu’elle eut acheté des tickets d’entrée et eut été admise avec deux amis dans l’enceinte de la bibliothèque. L’un des membres du personnel et un agent de police l’obligèrent à quitter le bâtiment et, ce faisant, la poussèrent en bas des escaliers. Mademoiselle Remond intenta un procès devant le Tribunal de Police et le Juge Russel lui accorda gain de cause en se réclamant de l’égalité des droits des personnes de couleur. Les personnes poursuivies furent sanctionnées par une petite amende, et l’employé de la bibliothèque fut contraint de payer les frais de procédure. Depuis ce jour, Mademoiselle Remond fut autorisée à acheter et occuper toute place de son choix dans l’Athenaeum 7.
En septembre 1858, Le rédacteur en chef de l’Anti-Slavery Advocate, imprimé à Londres, publia une lettre que Sarah Remond avait adressée à un de ses amis. Sa publication avait à l’origine pour objet de préparer la visite de Mademoiselle Remond en Angleterre auprès d’Anglais qui s’intéressaient à l’abolition de l’esclavage. Le texte de la lettre se présente comme suit :

Salem, Massachussetts, le 18 septembre 1858,

Cher Ami,

J’ai bien reçu votre lettre en date du 18 août. Elle parvint à mon adresse alors que je m’étais absentée pour participer à une convention anti-esclavagiste sur la péninsule du Cap Cod, dans la ville de Harwich, en compagnie de Parker Pillsbury, M. Foss et mon frère. Nos assemblées, huit au total, attirèrent beaucoup de monde. Le dimanche, bien qu’une grande salle eût été mise à notre disposition, beaucoup de gens furent obligés de repartir, ne pouvant entrer dans les lieux. Jamais je n’avais contemplé une foule aussi dense. Nous nous efforçâmes de leur donner à entendre la vérité et je suis certaine que la rencontre fut un véritable succès. J’ai reçu la semaine dernière la visite, courte mais agréable, de M. Garrison et d’un gentleman anglais, M. Robson, qui effectue actuellement un voyage en Amérique. M. Robson semble comprendre le caractère de notre nation et l’esprit de l’esclavage. Il porte un témoignage fidèle à l’encontre de l’immense crime de notre temps. Les propriétaires d’esclaves et leurs alliés tentent par tous les moyens de rendre légale la traite négrière. Songez donc qu’en ce dix-neuvième siècle, une nation qui fit de la traite négrière un acte de piraterie voici quelques années de cela, et qui multiplie aujourd’hui les déclarations en faveur de la liberté et de la chrétienté plus que toute nation dans le monde, s’efforce désormais de légaliser le trafic des âmes et des corps de femmes et d’hommes qui ont été « abaissés pour un peu de temps au-dessous des anges ». N’est-ce pas suffisant pour révulser quiconque ?

De mon cœur, chaque corde vibre, (Oh God ! my every heart string cries 8,)
Oh Dieu ! Ces scènes, les contemples-tu (Doest thou these scenes behold)
Sur cette terre proclamée chrétienne qui est nôtre, (In this our boasted Christian land,)
Et pourquoi la vérité serait-elle tue ? (And must the truth be told ?)

Il est vrai que la traite négrière a été constamment effectuée sous le drapeau américain, mais nous tenterons désormais de soumettre ce crime infâme au châtiment de la loi. « Et pourquoi pas ? », si je puis me permettre, « Alors que la Cour suprême des États-Unis a déclaré que les hommes et les femmes au teint foncé ‘ne possèdent aucun droit que les hommes blancs se doivent de respecter’ 9 ». En entamant cette lettre, je n’avais pas l’intention d’aborder aussi longuement la cause qui me tient tant à cœur, mais vous n’ignorez pas que « c’est de l’abondance du cœur que la bouche parle ». Je fus très heureuse de vous savoir arrivé à bon port à Liverpool. Chevaucher 5 000 kilomètres de vagues océaniques constitue une véritable aventure. J’étais profondément impatiente de me joindre à vous dans votre périple ; bien plus que je ne l’exprimais dans les lettres à vous adressées. Emplie du sentiment que vous n’aviez aucun préjugé contre les gens de couleur, je savais que je trouverais toujours en vous une personne avec qui échanger de temps à autre. J’espère toujours rejoindre Londres avant l’hiver, mais je crains le départ pour de nombreuses raisons. Je n’ai peur ni du vent, ni des vagues, mais quelles que soient les conditions de ma traversée, je sais que je croiserai l’esprit des préjugés. Il me faudra voyager depuis Boston à bord d’un vapeur anglais. Vous avez évoqué l’ami de mon frère. Son voyage en Angleterre remonte à fort longtemps, aussi devrai-je prendre mon courage à deux mains et m’efforcer de me débrouiller seule. Parker Pillsbury écrira à l’une de ses connaissances afin qu’elle vienne à ma rencontre à Liverpool et j’espère de tout cœur m’en sortir au mieux. Il m’a demandé de vous rappeler à son bon souvenir. Il m’a rendu visite à mon domicile à deux reprises depuis que je vous ai adressé ma dernière lettre.

Très sincèrement vôtre,
Sarah Parker Remond 10.

Sarah Remond effectua sa traversée de l’océan à la fin de cette même année. Durant les années 1859 et 1860, elle donna des conférences au sujet de l’abolition de l’esclavage dans de nombreuses grandes villes en Écosse, en Irlande et en Angleterre 11. Elle fut accueillie en tous ces lieux avec beaucoup d’enthousiasme par de larges assemblées qui montrèrent beaucoup d’intérêt et de compréhension pour son combat. À Warrington, en Angleterre, où elle s’exprima en mars 1859, son allocution fut signée par le maire, le recteur de la paroisse, un membre du parlement représentant la circonscription locale, et par trois mille cinq cent vingt-deux habitants de toutes classes et de tous rangs. Les dons collectés à cette occasion s’élevèrent à cent dollars, qui furent envoyés à William Lloyd Garrison en soutien à la Société Américaine Contre l’Esclavage 12.
Le fait qu’un grand nombre de personnalités éminentes lui rendirent visite indique bien que sa présence en Angleterre fut appréciée ; même Lord Henry Brougham qui était alors âgé de quatre-vingts ans vint lui rendre visite lorsqu’elle était à Londres. Dans la majorité des cas, elle était présentée aux publics des différentes villes par les sociétés d’hommes ou de femmes contre l’esclavage, qui étaient établies dans ces divers lieux 13. Les journaux de l’époque décrivaient son style de conférence comme étant « bien adapté aux publics anglais ». Ses allocutions étaient « diversifiées, très complètes et impressionnantes ». Sa présentation des grands problèmes liés à l’esclavage était faite de manière intelligente — « Une explication claire de principes justes, sans bêtises. ». Selon ces comptes rendus, elle n’essayait pas d’apitoyer le public par une longue litanie des horreurs de l’esclavage. Elle appliquait ses « règles de jugement à toute personne, toute secte et toute classe 14 ».
Sa délicatesse, son raffinement et ses manières, la fluidité de son élocution et le ton limpide de sa voix, firent d’elle une conférencière populaire. Lorsqu’elle effectuait ces tournées de conférences, elle avait en tête certains objectifs qu’elle espérait atteindre. Elle désirait avant tout « accroître le capital de sympathie de l’ensemble de la nation britannique envers la cause de l’abolitionnisme en Amérique. » Et cela pouvait être accompli selon elle grâce à des souscriptions dont le but était de soutenir le travail des sociétés américaines contre l’esclavage, soit « des allocutions de la population anglaise à l’intention de la population américaine, en particulier des églises anglaises à l’adresse des églises américaines, lors desquelles seraient énoncés d’authentiques principes chrétiens contre l’esclavage et l’expression d’un soutien à l’égard des abolitionnistes là-bas, dans leurs actions philanthropiques et patriotiques ». Elle espérait en outre éveiller le peuple anglais à une conscience des dangers qui menaçaient alors les « grands principes de liberté maintenus jusqu’à ce jour par une politique nationale reposant sur le soi-disant programme d’immigration mis en œuvre à l’heure actuelle dans les Antilles 15 ». Il va sans dire qu’avec ces objectifs présents à son esprit, beaucoup fut accompli en soutien de la cause qu’elle représentait si brillamment.
Durant les premiers jours du mois de décembre 1859, Sarah Remond désira séjourner en France. Elle se rendit par conséquent à l’Ambassade américaine pour obtenir le visa nécessaire sur son passeport. Un certain M. Dallam, fonctionnaire de l’ambassade, le lui refusa, arguant du fait que les personnes de couleur ne sont pas des citoyens des États-Unis. En réponse à la protestation immédiate de Mademoiselle Remond, on la menaça d’expulsion du lieu par la force. Quelques jours plus tard, elle fit la demande par écrit auprès de l’ambassadeur, insistant avec le plus grand respect sur le droit qui était sien de voir son passeport visé par le ministère de son pays. Il répondit en confirmant « une carence manifeste devant la loi », ce qui dans son cas signifiait que « la citoyenneté des États-Unis était la qualification indispensable pour obtenir un passeport américain ». Il ne pouvait dès lors pas accéder à son souhait. Cependant, quelque temps plus tard, elle obtint un passeport du Secrétaire aux Affaires étrangères britannique 16. Ce n’était pas la première fois qu’une personne de couleur se voyait refuser un passeport en raison de sa couleur de peau.
Après que les Noirs américains eurent obtenu leur liberté, Sarah Remond continua ses démarches en leur nom. De nouveau, en 1867, on la retrouve en train de donner des conférences publiques en Angleterre. Cette fois, il s’agissait de conférences devant des institutions littéraires ou face à un public plus large à propos de sujets tels que « L’homme libre ou le Noir émancipé dans les États du Sud des États-Unis 17 ». Certaines de ses conférences furent publiées et un grand nombre de personnes furent alors en mesure de lire son plaidoyer en faveur de cette population aux conditions de vie misérables 18. En 1864, elle écrivit un pamphlet de trente pages, intitulé « Les Noirs, affranchis et soldats » qui fut publié par la Ladies London Emancipation Society et qui présentait les conditions de vie des esclaves affranchis et évoquait les services rendus par les soldats noirs durant la guerre de Sécession.
Toujours très appréciée à Londres en 1867, elle participa à un petit-déjeuner public de grande envergure donné en l’honneur de William Lloyd Garrison au St. James’ Hall. Le Duc d’Argyll était en tête de la liste de cinquante personnes composant le comité. Un grand nombre de membres du Parlement, de philosophes, de scientifiques et d’hommes de lettres étaient présents dont Thomas F. Buxton, John Stuart Mill, Herbert Spencer, T. H. Huxley, et William Howitt. L’ensemble des personnes présentes composait une assemblée d’environ trois cent femmes et hommes. Parmi les autres invités noirs en provenance des États-Unis, figuraient Daniel A. Payne, J. Sella Martin, ainsi que William et Ellen Craft, qui vivaient à Londres à cette époque 19.
Une coupure de presse non datée affirme que Sarah Remond obtint un diplôme de docteur en médecine en 1871 dans une école de médecine renommée située à Florence, en Italie. Il est probable que la lassitude qu’elle ressentait dans son combat contre les problèmes raciaux et l’indifférence affichée à l’égard des droits des Noirs furent parmi les raisons qui la poussèrent à chercher un nouveau domaine d’activité, dans un nouveau pays où les occasions de se réaliser et de rendre service ne lui seraient pas refusées.
Madame Elisabeth Bufful Chace, une Quaker 20 et amie de la cause abolitionniste, se rendit à Florence, en Italie en 1873, et évoque sa visite de la ville dans ses mémoires. Elle mentionne une rencontre et un thé, en compagnie d’une certaine Madame Putnam, auxquels Sarah Remond était présente. Madame Chace décrivit Mademoiselle Remond comme une « femme remarquable » et observa que par « son énergie et sa persévérance indomptables elle avait acquis une solide réputation à Florence non seulement en tant que femme médecin, mais également en société ». Elle citait Mademoiselle Remond selon laquelle les Américains avaient tenté d’user de leur influence pour l’empêcher de réussir, « en apportant leurs préjugés haineux » en Italie 21.
Dès lors, le nom de Sarah Remond devrait bénéficier d’une place de choix dans l’Histoire des Noirs aux États-Unis. L’histoire de sa vie est une illustration des efforts incessants accomplis par quelqu’un qui désirait aider sa race de toutes les façons imaginables et qui souffrit énormément, tant mentalement que physiquement, durant le long combat pour l’abolition de l’esclavage et l’amélioration des relations entre les races.

Erreur...

Erreur...

Fichier debusquer introuvable