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Cette traduction inédite en français a été réalisée par Arnaud Courgey et coordonnée par Claire Parfait sur un financement ANR - programme IDEX (©) dans le cadre du projet de recherche Écrire l’histoire depuis les marges - HDML.

Référence du texte traduit :
William Cooper Nell, The Colored Patriots of the American Revolution : With Sketches of Several Distinguished Colored Persons : To Which Is Added a Brief Survey of the Condition and Prospects of Colored Americans, Boston : Robert F. Wallcut, 1855.

>>> Lire l’intégralité de l’ouvrage en anglais et en libre accès sur Documenting the American South

Notice de la traduction :
Histoire et militantisme : William Cooper Nell
Par Claire Parfait


William Cooper Nell

16 décembre 1816, Boston, Massachusetts — 25 mai 1874

Abolitionniste, William Cooper Nell publia contre l’esclavage et fit partie d’associations d’aide aux esclaves fugitifs.



Nell William Cooper, Courgey Arnaud (trad.) (2018). “William Cooper Nell, Préface de l’auteur”, in Le Dantec-Lowry Hélène, Parfait Claire, Renault Matthieu, Rossignol Marie-Jeanne, Vermeren Pauline (dir.), Écrire l’histoire depuis les marges : une anthologie d’historiens africains-américains, 1855-1965, collection « SHS », Terra HN éditions, Marseille, ISBN: 979-10-95908-01-2 (http://www.shs.terra-hn-editions.org/Collection/?William-Cooper-Nell-Preface (...)), RIS, BibTeX.


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Traduction d’Arnaud Courgey
Coordination de Claire Parfait


Au mois de juillet 1847, l’éloquent Barde de la Liberté JOHN G. WHITTIER 1, produisit pour le journal National Era 2 un rapport sur les faits d’Armes d’Américains de couleur au cours de la Révolution de 1776 et de la guerre de 1812. En tant que membre de la Société des Amis 3, il se garda d’y faire l’apologie de toute effusion de sang même quand la cause était juste, mais, écrit-il, « lorsque l’on voit une nation entière rendre hommage à la mémoire d’une catégorie de ses défenseurs en négligeant totalement une autre de ces catégories, qui avait le malheur d’être plus foncée de peau, on ne peut se priver de la satisfaction de rappeler certains faits historiques, qui depuis un demi-siècle ont discrètement été relégués aux marges comme s’ils n’étaient pas plus dignes du souvenir patriotique que leurs descendants ne le sont [de l’avis de la nation], de participer à un défilé du Quatre Juillet. À notre connaissance, aucun effort n’a été fait pour préserver les archives du service dans l’armée et des souffrances des Soldats de couleur de la Révolution. Aucun historien ne s’en est préoccupé. À quelques exceptions près, ils ont tous disparu, et il n’en subsiste que des bribes de tradition familiale chez leurs descendants. Pourtant, on en sait suffisamment pour démontrer que les hommes de couleur libres des États-Unis subirent en pleine proportion de leur nombre les sacrifices et les épreuves de la guerre d’Indépendance. »

Dans mon entreprise pour sortir de l’oubli le nom et la réputation de ceux qui, « quoique teintés de la marque haïe », démontrèrent la chaude humanité de leurs cœurs et l’active valeur de leurs mains à des « heures où l’âme des hommes se voyait mise à l’épreuve 4 », je souhaite tout d’abord témoigner ma gratitude à John L. Whittier pour le service que m’a rendu son travail de compilation, et exprimer également ma reconnaissance envers d’autres personnes qui furent assez aimables pour contribuer au corpus de données sur lequel repose cet ouvrage. Quelque imparfaites que soient les pages du présent ouvrage, leur préparation a exigé des déplacements pour rencontrer des vivants, et même des pèlerinages dans des cimetières, afin que soit recueilli pour la postérité tout ce qui peut encore être glané des traces d’existences presque disparues.

Il existe aujourd’hui un établissement d’enseignement dans l’État de New-York (Central College), où la chaire de Belles Lettres a été attribuée à trois jeunes gens de couleur, CHARLES L. REASON, WILLIAM G. ALLEN, et GEORGE B. VASHON, dont chacun a porté dignement l’habit de Professeur, et fait preuve d’excellence académique et de vertu masculine.

Dans leur rôle d’enseignants, notamment dans les universités ouvertes au plus grand nombre, quelles que soient leurs circonstances, ils font un travail formidable pour éradiquer les préjugés. Leur influence se fait d’ores et déjà sentir. De nombreux jeunes Blancs des deux sexes qui ont grandi imbus de préjugés et persuadés de l’infériorité de l’homme de couleur, reçoivent désormais une nouvelle leçon de la bouche des Professeurs de couleur de McGrawville 5 ; et à l’issue de leur scolarité ils quittent l’illustre enceinte le cœur rempli de gratitude pour leur conversion d’un paganisme esclavagiste vers un évangile de Liberté chrétienne. Ils ressortent ainsi de l’expérience prêts à s’engager, pionniers, dans la cause de la Fraternité humaine.

En même temps, la voix de l’Orateur et la plume de l’Auteur ont toutes deux fait preuve d’éloquence dans leur hommage rendu aux vertus de l’Américain de Couleur dans ces diverses branches de la société, tandis qu’un concours de circonstances a soustrait à l’attention du public le récit de ceux de leurs faits d’armes qui étaient de nature, d’un avis général, à leur garantir durablement une place d’honneur aux yeux de leurs Compatriotes américains.

C’est à Beacon Hill que je suis né, et, depuis mes plus jeunes années, j’aime à visiter l’aile est du Capitole, et à y lire les quatre pierres du monument qui autrefois en ornaient le sommet 6. L’une d’entre elles porte l’inscription suivante :

Américains, tandis que de cette hauteur vos yeux embrassent des paysages luxuriants et fertiles, des scènes de commerce prospère, et des lieux d’épanouissement du bonheur public, n’oubliez pas ceux dont les labeurs vous garantirent ces bienfaits.

Ces mots sont gravés de manière indélébile dans mon esprit, et n’ont pas peu contribué à la production du présent ouvrage. À l’instar des labeurs des « Puritains d’Écosse », immortalisés par le génie de Scott 7, j’espère humblement que ces pages permettront de mieux ancrer dans le cœur et la conscience de cette nation, le sens de la justice, qui d’ici peu se manifestera par des actes dignes d’un peuple qui, « libre lui-même », se doit de se placer « en première ligne pour libérer ».

WILLIAM C. NELL

Chapitre III. Conclusion

À LA LUMIÈRE des pages qui précèdent, on notera que les divers conflits qui ont mis à l’épreuve les forces vitales des États-Unis, sur mer comme sur terre, ont été marqués par le dévouement et la bravoure d’Américains de couleur, en dépit de la montagne de persécutions propre à rivaliser avec le mont Olympe, qu’ils ont dû subir de la part de leurs compatriotes. Ils ont en toute occasion prouvé leur loyauté, et leur disposition à se prosterner ou, le cas échéant, à mourir devant l’autel de la Liberté. La flamme ardente de leur amor patriae n’a cessé de brûler dans le sanctuaire de leur cœur. Ils sont profondément attachés à la terre qui les a vu naître :

Car c’est un lien magique qui nous unit à la terre de notre enfance,
Que le cœur ne peut briser, quelle que soit la distance qui nous en sépare ;
Que cette terre se trouve à l’équateur ou qu’elle soit au pôle,
C’est toujours elle qui recèle l’aimant qui rappelle l’âme à lui ;
Elle est aimée de l’homme libre ; elle est aimée de l’esclave,
Elle est chérie du lâche ; plus chérie encore du brave ;
Demandez à quiconque l’endroit qu’il préfère sur terre,
Et il vous répondra fièrement : c’est la terre qui m’a vu naître.

Qu’on n’aille pas toutefois jusqu’à présumer que, parce que beaucoup de soldats noirs, contraints par les circonstances, ont accepté d’occuper des emplois subalternes pendant la guerre, il s’ensuit inévitablement que leurs descendants actuels se satisferont d’un statut de deuxième classe. Bien au contraire, comme Crispus Attucks guidant les citoyens de Boston dans la résistance à la tyrannie en 1770 8, comme Major Jeffrey 9, les soldats Latham et Freeman 10, ces hommes braves et courageux, Jordan B. Noble, le tambour des plaines de Chalmette 11, et tant d’autres, quel qu’ait été leur rang dans les moments d’épreuve pour leur pays, ainsi, désormais, nous faut-il, dans notre lutte pour l’égalité, nous fixer comme objectif de nous intégrer à la masse des Américains ; nous unir, dans la mesure du possible, selon les affinités de chacun, aux divers mouvements politiques, littéraires, de bienfaisance, ecclésiastiques, au milieu des affaires et aux associations du pays, et ainsi prouver que nous sommes des soldats vaillants et constants de l’armée de la Liberté, sans nous confiner dans une division pour personnes de couleur.

Il convient toutefois, dans un souci de justice historique, de rendre aussi compte des services des Américains de couleur qui, dans la « banalité du quotidien » 12, ont œuvré et œuvrent ardemment en faveur du bien-être de l’humanité. Si d’aucuns se refusent à apprécier les mérites de l’homme de couleur, chérissons pour notre part cet autel abandonné. Ces noms que d’autres négligent, il nous faut les vénérer d’autant. Préservons-les en vue du jour tant attendu de l’émancipation totale, lorsque dans la jouissance de tous nos droits, et sauvés de la longue nuit d’ignorance qui pèse sur nous, nous pourrons nous les remémorer, et constater avec reconnaissance que les étoiles qui brillent pour nous à l’horizon nous auront alors fait pénétrer dans une glorieuse aurore.

La lueur qui brillait de la cellule de WILLIAM LLOYD GARRISON dans sa prison de Baltimore continue de se répandre à travers le pays 13. C’est grâce à cet homme que la question de l’esclavage est entrée dans le débat public par le passé, qu’elle y est encore, et qu’elle continuera d’y être à l’avenir ; on le lui doit depuis le moment où il prit la noble décision de consacrer sa vie à l’émancipation de l’esclave, et à l’amélioration de la situation des Américains de couleur libres de nom seulement.

« J’ATTENDRAI », furent les paroles mémorables de John Q. Adams, lorsqu’on le bâillonna dans l’enceinte du Congrès 14. Le monde pourra témoigner de notre attente et de notre infinie patience ! Nous avons appris

La sublime douceur qu’il y a
À rester fort dans la souffrance ;

cependant, quoique nous y soyons endurcis, jamais nous ne nous résignerons à de tels traitements :

Dussions-nous voir notre cœur transpercé à maintes reprises,
De chaque blessure jaillira encore un sang nouveau.

La Révolution de 1776, et les conflits qui suivirent dans l’histoire de notre nation, avec l’aide, nombreuse et significative, d’Américains de couleur, n’en ont cependant pas rendu moins nécessaire (c’est triste à dire, et pourtant vrai) une seconde révolution, dont la sublime raison d’être ne sera autre que la régénération de l’attachement public à la Fraternité universelle. À cette fin glorieuse, chacun, quelle que soit sa couleur de peau, sa religion, son sexe ou sa condition, peut œuvrer dans la mesure de ses moyens, et ainsi abreuver l’arbre de la liberté, de sorte que tout un chacun puisse en cueillir les fruits suspendus à ses souples rameaux ; dans la mesure où les Américains de couleur sauront accélérer la venue de ce jour, ils auront prouvé la légitimité de leur prétention au titre de « Patriotes de la Seconde Révolution ».

La guerre anti-Esclavagiste menée au cours des vingt-cinq dernières années s’est, il est vrai, distinguée par une profusion de nobles paroles et de nobles actions, et par une remarquable série de victoires, inévitable récompense de ceux qui restent fidèles et qui persévèrent. Si l’on compare le présent au passé, avec ces heures sombres où le son du clairon retentit pour la première fois à travers les monts et les vaux de Nouvelle-Angleterre, on a peine à croire aux manifestations quotidiennes de progrès des puissants principes qui alors avaient été proclamés à la nation américaine. Le traitement infligé à l’homme de couleur dans ce pays illustre tout à fait la tendance qui consiste à « haïr ceux que l’on a blessés », et me rappelle le chapitre de Waverley où, sur le chemin de l’échafaud, Fergus Mac Ivor dit à son ami : « Vous voyez le compliment qu’on a fait à la force et au courage des montagnards ? Nous avons été enchaînés ici comme des bêtes féroces, au point que nos jambes en sont presque paralysées ; et quand on nous enlève nos fers, on nous envoie six hommes armés de fusils, pour empêcher que nous ne prenions d’assaut cette citadelle 15. » L’analogie est claire avec l’influence toute-puissante et omniprésente de l’esclavagisme américain dans son acharnement à écraser toute aspiration louable et noble de l’homme de couleur persécuté. Tout comme dans la nature les caresses de l’été semblent plus douces par contraste avec les camouflets de l’hiver, le calme de l’océan semble plus paisible par opposition avec la tempête qui l’a précédé, de la même façon, dans notre poursuite de cette lutte morale, de tels affronts occasionnels auront véritablement contribué à faire de notre heure de victoire finale le comble de la félicité.

Aussi vrai que la nuit précède le jour, que la guerre laisse la place à la paix, et que l’hiver se conclut par l’éveil du printemps, les efforts acharnés de l’armée de la Liberté se verront couronner des lauriers éternels de la victoire !