Si l’habitat temporaire est aujourd’hui en quête de légitimités (sociale, juridique, politique, culturelle...), il n’est plus un sujet marginal dans les enceintes institutionnelles et médiatiques. En quelques années, rapports, propositions et textes de loi, comptes rendus de recherche, traitements médiatiques en tout genre et actions de sensibilisation « pour » ou « contre » ont fait tanguer les habitats « légers », « mobiles », « éphémères » dans un bouillonnement social animé d’élans souvent politiques, aujourd’hui plutôt environnementaux, mais aussi libertaires et alternatifs tout autant que sécuritaires et répressifs.
Au cours de l’été 2015, le maire de La Courneuve a procédé à l’expulsion du bidonville du Samaritain, provoquant une intense mobilisation du milieu associatif. Ses arguments inspirés des postures légalistes et normatives consistaient à assimiler l’habitat précaire du bidonville à un moyen pour les habitants de s’extraire des lieux et des formes de sociabilités du « commun », tendance résumée sous le terme généraliste de « ghetto ». Plus récemment, les migrants internationaux, suite à une série d’épisodes tragiques, ont suscité des mobilisations politiques inédites en Europe, notamment en Allemagne. Dans un tel contexte, le modèle du camp 1 semble redevenir dans les discours et les actes une forme susceptible d’intégrer l’espace urbain ou périurbain au nom d’une « solidarité internationale » et de son caractère temporaire. Qu’est-ce que l’habitat temporaire ? Quels sont les ressorts, les enjeux et les contradictions de cet « objet chevelu » qui peut insidieusement conduire d’une posture militante à une dérive répressive ?
Les divergentes vagues de discussions et de revendications ont ramené du grand large de nos impensés ce vaste sujet qui se retrouve aujourd’hui en première ligne des questions sociales actuelles. Faisant front aux normes urbaines et juridiques, ces habitats sont fortement surveillés par les arcanes de l’État centralisé, chargés de l’aménagement du territoire. Viviers historiques des marginalités, les périphéries urbaines, jusqu’aux réappropriations de la cabane de jardin, et les zones rurales insufflent une certaine modernité à des formes d’habitats jadis appréhendées sous l’unique angle de la précarité. Après avoir été « testé » de façon isolée, l’habitat temporaire est aujourd’hui « pratiqué » par certaines franges des classes moyennes voire aisées. Camping-caristes en Europe et « full-time RVers 2 » aux États‐Unis permettent aujourd’hui d’appréhender autrement qu’en contrepoids de la norme, les formes d’habitats mobiles. En France, certains font le choix, plus ou moins contraint, de vivre en terrain de camping dans des mobil-homes, tandis que les architectes saisissent le « créneau » du recyclage des containers pour proposer à une clientèle ciblée des maisons de standing modulables et démontables.
Multiplicité des imaginaires, des usages, objet protéiforme, l’habitat temporaire est un objet juridique, sociologique, architectural, évoluant au gré des pratiques et des expérimentations de ses acteurs. Le colloque Actualité de l’habitat temporaire organisé à Montpellier les 11, 12 et 13 octobre 2013 affichait un programme ambitieux afin de saisir au plus près cet objet protéiforme par la multiplicité et l’hybridation des approches anthropologiques, juridiques, architecturales mais également militantes, artistiques, audiovisuelles. Quatre axes ont structuré les communications très riches qui nous ont été proposées lors de ces trois journées. C’est en partant de la difficulté à penser et à appréhender juridiquement un « habitat sans ancrage » que nous avons souhaité entamer la discussion, avant de poursuivre sur les instrumentations publiques confrontées aux usages privés de l’habitat temporaire. Ensuite, c’est bien évidemment le prisme de la mobilité géographique auquel ces habitats renvoient qui a été questionné puisque les plus mobiles ne sont pas toujours ceux qui utilisent les habitats temporaires. Enfin, les urbanistes et architectes ont été interpellés dans leurs capacités à intégrer le « temporaire » comme notion susceptible de guider les aménagements publics d’espaces où la norme n’opère pas (ou plus). Pour les actes du colloque, la répartition s’est faite en trois axes autour d’une première partie qui laisse la part belle au rêve et à l’imaginaire qui s’immisce dans le rapport des habitants à cet objet singulier qu’ils adoptent temporairement ou bien dans les perceptions publiques et médiatiques qu’il génère. La deuxième partie met véritablement l’accent sur l’aspect « temporaire » de notre objet et ce qu’il induit en terme de pratiques et d’usages et comme formes d’épreuves, de répits et de régulations déployées à des échelles circonscrites. Enfin, la dernière partie s’attache à montrer les enjeux — notamment en termes de biopouvoir — qui font l’actualité de l’habitat temporaire et son affiliation à des logiques de contrôle des mobilités humaines à une échelle globalisée.
La publication de cet ouvrage, que nous avons souhaité rendre accessible au plus grand nombre en adoptant un format numérique, coïncide avec la publication de l’ouvrage Mobil-hom(m)es 3 qui offre une belle complémentarité avec Actualité de l’Habitat Temporaire par une approche davantage conçue à partir d’une perspective historique. Certains articles se font écho par un recours à des concepts communs tels que l’hétérotopie 4, et à des thématiques (comme celles des travailleurs mobiles ou des déplacés environnementaux) qui traversent les deux ouvrages.
[…] et bien je rêve d’une science, et je dis bien une science, qui aurait pour objet, ces espaces différents, ces autres lieux, ces contestations mythiques et réels de l’espace où nous vivons. Cette science étudierait non pas les utopies, puisqu’il faut réserver ce nom à ce qui n’a vraiment aucun lieu, mais elle étudierait les hétérotopies. Les espaces absolument autres et, forcément, la science en question s’appellerait [...] elle s’appelle déjà ; l’hétérotopologie. Les lieux que la société ménagent dans ses marges dans les plages vides qui l’entourent. Ces lieux sont plutôt réservés aux individus dont le comportement est déviant par rapport à la moyenne et la norme exigée […].
[...] souvent politiques, aujourd’hui plutôt environnementaux, mais aussi libertaires et alternatifs tout autant que sécuritaires et répressifs [...].