L’habitat temporaire renvoie à des réalités multiples. Convoquer une telle diversité en un même lieu paraît complexe. En effet, que peut-il y avoir de commun entre la possibilité pour une population à la dérive de se fixer en un point en aménageant un lieu de vie informel, le choix assumé par d’autres d’inscrire leur existence dans la mobilité, l’offre provisoire d’un toit à celui qui ne peut ou ne veut se fixer, les pratiques liées au séjour touristique, la marchandisation de l’expérience ludique du temporaire par la réappropriation de formes iconiques, etc. ? Le grand écart semble impossible à assumer. Mais cette appréciation ne souffrirait-elle pas de la référence à la norme ? Une norme sociale intégrée, assimilée et formulée politiquement par le haut : un ordre institué et partagé, du moins admis ou plus simplement compris par le plus grand nombre. Ainsi, la prise en compte des usages, des pratiques, des représentations sociales s’impose. Les textes rassemblés ici produisent cet effort et invitent à se saisir de l’imaginaire qui parcourt l’ensemble de ces phénomènes. Dès lors, embrasser en une même réflexion la diversité des manifestations et des situations évoquées paraît possible et même souhaitable car il en va de la bonne intelligence de la référence au temporaire et, en l’occurrence, à l’habitat temporaire.
Saskia Cousin remplit, avec grande efficacité, cet objectif. Sa proposition assemble, en un jeu foisonnant et constructif, des observations de terrain afin de rendre compte de l’ambivalence inhérente au temporaire et, par incidence, aux imaginaires qui le travaillent. Le propos s’ancre dans plusieurs situations explorées dans la ville de Saint-Denis (friches, squats, bidonvilles), mais se construit également au contact de trois autres réalités nourrissant ses recherches (population rom, habitat temporaire, métropolisation). Moins un « bricolage conceptuel » qu’un imaginaire brouillé, perturbé, en prise avec un réel radical ramenant à l’observation de la norme 1.
La contribution de Stany Cambot, du groupe Échelle inconnue 2, vaut manifeste et témoigne de cette disjonction entre réel et imaginaire encouragée par la logique d’un capitalisme qui n’en finit pas de mourir tout en poursuivant son œuvre de fragmentation 3.
C’est également ce qu’observe Sébastien Deprez, sociologue. Rendant compte de son exploration d’une friche en Seine-Saint-Denis, il explique la difficulté de se saisir, par la mobilisation de méthodes classiques, des usages, pratiques et représentations de ceux qui sont les acteurs du temporaire, de l’habitat temporaire. Le recours à des outils moins formalisés, permettant au chercheur de se fondre dans la réalité étudiée, de se faire apprivoiser, non pour tromper mais pour comprendre, devient alors la seule issue possible pour toucher à ce qui au final vient nourrir l’imaginaire ou les imaginaires du temporaire, à moins qu’il ne s’agisse d’évoquer une imagination en actes désignant, par l’entrée dans l’informel, le temporaire, des situations autres, hautement formelles, contraintes par une norme toujours plus difficile à supporter. Quand l’informel rend libre 4.
Comme les autres contributions, celle de Laurent Viala cherche à sonder cet imaginaire. Toutefois, la voie empruntée diffère quelque peu puisque ni l’enquête de terrain, ni l’engagement citoyen, artistique, culturel ne sont à l’origine du propos. La démarche repose sur la saisie d’objets architecturés s’appropriant partiellement l’imaginaire exploré avec pour objectif de le réintroduire dans le réel, réduit, transfiguré, détourné. Ce processus actualise l’imaginaire de l’habitat temporaire au risque de l’appauvrir 5. Quoiqu’il en soit, ce phénomène témoigne de la dynamique à l’œuvre qui, quoique l’on en pense, recompose le rapport à la norme.