Cette seconde partie rassemble cinq contributions. Elles interrogent l’« habitat temporaire » sous ses diverses formes : bidonville, habitat léger, « campement » et/ou aire d’accueil, habitat temporaire au moyen d’ « installations », cabanisation. Subi et/ou choisi, approuvé et/ou contesté, toléré et/ou contrôlé, l’habitat temporaire est appréhendé à travers les logiques et les stratégies de ses acteurs, mises en miroir avec le politique et le juridique qui le conditionnent.
Différents regards disciplinaires se conjuguent pour favoriser et traduire la singularité des réalités trop souvent décrites et enfermées dans des représentations réelles mais homogénéisantes : celles liées à la précarité, empreintes de misérabilisme. Ces représentations interrogent : l’habitat temporaire reflète-t-il une appartenance sociale où l’appropriation de l’espace serait l’action de personnes issues des milieux sociaux situés en bas de l’échelle sociale ? Le croisement d’approches géographiques, ethnographiques et sociologiques permet d’aborder l’habitat temporaire sous différents de ses aspects.
Basé sur une monographie de l’habitat léger en Ardèche, l’article de Béatrice Mesini et Floriane Bonnafoux présente l’habitat léger comme le reflet d’une nouvelle temporalité de vie :
L’usage de la temporalité apparaît comme central aux nouveaux habitants ardéchois installés pour qui le type d’habitat conforte un choix de vie. Au-delà, ce type d’habitat entre en résonance avec une quête plus personnelle, désignée au travers du concept d’« apprentissage expérientiel » où « accomplissement de soi rime avec autoconstruction ». Mais l’accomplissement de son « soi intérieur » s’intègre dans une dimension plus large, dans des dynamiques relationnelles que les concepts de sociation et de communalisation permettent d’éclairer. Outre la dimension autonome et créative des usagers de ces habitats engagés dans la construction de projets collectifs, ce projet traduit aussi une quête d’assouvir « leurs propres valeurs ». Enfin, la temporalité apparaît centrale dans les interactions entre habitants des habitats légers et autres villageois. Le temps est posé comme condition d’acceptation par les anciens : qu’ils passent un hiver et après on verra bien
1 !
Les conditions « d’acceptation » ne sont pas toujours dépendantes de la temporalité, comme le montre l’article de Gaëlla Loiseau sur la matérialité de l’« expérience voyageuse ». Par une lecture des dimensions matérielles régissant l’habitat des « gens du voyage » en France tant dans des aires d’accueil que dans des « campements sauvages », et l’usage que les « gens du voyage » font de cette matérialité imposée (bitume, grillage, etc.), G. Loiseau nous invite à poser des clés de lecture de la dynamique enfermement/ouverture que confèrent ces lieux de vie imposés confrontés à un mode de vie choisi. Dans la continuité de la réflexion proposée par B. Mesini et F. Bonnafoux, G. Loiseau insiste sur la capacité d’action et d’interaction avec l’environnement que reflète l’installation matérielle (branchements électriques, point d’eau), malgré une « place des voyageurs » demeurant toujours « isolée du reste de la société », matérialisée notamment par les règles immatérielles (règles de socialité) régissant le « système d’accès » au campement bien qu’il « soit de toute part entièrement pénétrable 2. »
La temporalité apparaît aussi comme un moyen, un outil mobilisé. Par une lecture ethnographique au tribunal de grande instance de Bobigny, Grégoire Cousin nous montre comment le temps constitue un outil précieux mobilisé par les habitants d’un bidonville pour stabiliser l’habitat. Loin d’une dépossession des enjeux juridiques et politiques, G. Cousin montre comment les Roms savent jouer des procédures menées contre eux pour rétablir un ordre moral et social, où la modulation d’une relation humaine particulière prime sur la norme juridique subie
. Et G. Cousin ne se cantonne pas qu’aux usagers de ces bidonvilles. Il oriente son regard vers les protagonistes de la justice — juges, avocats — pour qui l’habitat temporaire apparaît aussi comme un enjeu de pouvoir. Au-delà d’une position critique vis-à-vis de la procédure, ils font corps pour convoquer le politique à prendre ses responsabilités. Ne serait-ce pas le préfet qui a le dernier mot dans une procédure d’expulsion : exécuter l’ordonnance ou non ? Ce qui caractérise le juridique dans ce papier est aussi et surtout sa capacité d’adaptation et de bricolage d’une réaction 3.
Cette dimension de la capacité des usagers des habitats temporaires à s’adapter, à transformer leurs habitats au gré des lois juridiques ou du politique est aussi centrale dans l’article de Laurence Nicolas. Centrée sur l’observation d’installations à Beauduc, « plage du littoral camarguais », par les couches populaires locales, L. Nicolas présente son propos en deux temps : « adaptation au milieu » et « adaptation au politique ». Alors que la norme juridique semble ici bien délimitée et non bricolée, les habitants montrent une capacité d’adaptation à leur milieu et à « la norme administrative, juridique ou sociale ». L’autogestion apparaît comme une réponse à la norme, la patrimonialisation comme une dépossession de l’action d’habiter et enfin les politiques publiques, et notamment la politique de gestion du risque, résonnent avec des pratiques d’écologisation. Politiques et pratiques sont abordées de pair et forment une dynamique 4.
Enfin, l’article de Dominique Crozat poursuit la thématique de la capacité des usagers à s’adapter, à mobiliser le juridique et le politique, introduite par les articles de G. Cousin et L. Nicolas. À partir d’une analyse fine des stratégies des usagers des habitats illégaux pour « pérenniser » leur habitat à travers l’observation des processus de cabanisation dans l’Hérault, D. Crozat s’interroge : comment expliquer l’indifférence relative aux formes d’habitats illégaux constatés dans l’Hérault alors que dans cette région ces formes d’habitats concernent au moins un habitant sur 100
? L’habitat temporaire traduit ici la recherche d’une stabilité et d’un ancrage possible par la mobilisation des normes et des lois juridiques mais aussi par la possession d’un capital social. Ces stratégies permettent une lecture des « hiérarchisations de l’espace social » et des « processus de structuration du système social », qui sont déterminants dans l’accès à la propriété :
La banalité de ces constructions, si insignifiantes que le regard y perd son acuité critique, en fait des paysages culturels 5 qui expriment une réalité politique, en particulier les hiérarchisations sociales et leurs recompositions.
Mais à la différence des articles de G. Cousin et de L. Nicolas où apparaissent une reconnaissance aux plus pauvres d’une capacité effective de décision et d’action, D. Crozat insiste sur le capital social — l’appartenance au terroir et les relations politiques qui s’y associent — comme condition d’affranchissement du cadre légal 6.