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Hélène Le Bail

Hélène Le Bail est chargée de recherche au CNRS, rattachée au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po Paris, affiliée à l’Institut Convergences Migrations, associée au centre de recherche PRIME de l’université Meiji Gakuin de Tokyo et au groupe « Migrations de l’Asie de l’Est » de l’IFRAE (Inalco, Université de Paris).
Ses travaux portent sur les migrations chinoises au Japon et en France ainsi que sur les politiques migratoires dans une perspective comparée. Un intérêt plus particulier est porté aux routes migratoires féminines (mariage, travail reproductif et travail du sexe), ainsi qu’aux questions de mobilisation, d’action collective et de participation politique.
Elle est co-responsable du projet PolAsie (Participation politique des populations issues de l’immigration asiatique en France) financé par l’ANR et l’Institut Convergences Migrations, et du projet « Between global sex work and human trafficking : an analysis of interviews and networks » financé par le ministère japonais de la Recherche.



Le Bail Hélène (V1: 5 novembre 2024). “Épouses chinoises et époux japonais. Dialogue entre enquêtes de terrain et fiction romanesque sur les mariages transnationaux”, in Cherrier Pauline, Kim Hui-yeon, Konuma Isabelle (dir.), Migrants d’Asie, migrants en Asie, collection « SHS », Terra HN éditions, Marseille, ISBN: 979-10-95908-20-3 (https://www.shs.terra-hn-editions.org/Collection/?Epouses-chinoises-et-epoux (...)), RIS, BibTeX.

Dernière mise à jour : 5 novembre 2024


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Les mariages ont été le vecteur d’une mobilité, parfois forcée, parfois désirée, souvent coutumière, des femmes à travers le monde. Les mobilités matrimoniales concernent depuis longtemps surtout les femmes. Elles ont d’abord été locales, puis régionales et internationales. Aujourd’hui, le regard porté sur les femmes qui migrent grâce ou à cause du mariage oscille entre l’apitoiement et la condamnation. Sont-elles victimes de formes de marchandisation ou viennent-elles instrumentaliser l’institution du mariage pour franchir les frontières ? Nous proposons de discuter des représentations et des réalités de ces migrantes par mariage à partir d’un terrain réalisé dans les régions rurales du nord-est du Japon en le mettant en regard d’extraits du roman intitulé Wan-chan 1 publié en 2007, en japonais, par Yang Yi, écrivaine d’origine chinoise installée au Japon 2.

Couverture du roman <i>Wan-Chan</i>, Yang Yi, 2007
Couverture du roman Wan-Chan, Yang Yi, 2007

Ce roman est construit autour du récit d’une opération matrimoniale montée par le personnage éponyme du roman, une femme chinoise, entre deux zones rurales, l’une au Japon, l’autre en Chine. Y sont décrits la première visite du groupe d’hommes japonais, le suivi des candidats intéressés, la cérémonie de mariage en Chine et l’arrivée des nouvelles épouses chinoises au Japon. Le roman pose d’emblée le caractère marchand de ces unions mais s’attache aussi à décrire les motivations des femmes chinoises et des hommes japonais ainsi que les situations sociales et démographiques des zones rurales des deux pays. Le récit nous raconte les intrications entre la vie familiale et les bouleversements économiques de la Chine des années 1990. Il nous raconte aussi les situations familiales dans les zones périphériques d’un Japon touché par le vieillissement de sa population. Au travers des mariages entre femmes chinoises et hommes japonais, ce sont les transformations des zones rurales des deux pays que la romancière raconte. L’histoire de Wan-chan est celle des illusions qui motivent les migrations et du dépaysement dans un pays étranger avec un mari souvent plus âgé et une belle-famille peu compréhensive. C’est aussi l’histoire d’hommes japonais qui, restés près de leurs parents dans des régions périphériques, ne trouvent pas à se marier. Les extraits du roman que nous avons traduits ci-dessous permettent de mettre en regard les injonctions sociales et les aspirations des différents acteurs, les contraintes et les choix.

Yang Yi

La romancière Yang Yi est née en 1964 à Harbin, en Chine. Elle est arrivée comme étudiante au Japon en 1987. Diplômée de l’université japonaise Ochanomizu de Tôkyô, elle a d’abord travaillé comme journaliste pour un journal en chinois du Japon. Wan-chan, son premier roman, écrit en 2007, fut nominé pour le prix littéraire Akutagawa. Elle ne remporta pas le prix cette fois-là mais l’année suivante, avec son roman Toki ga nijimu asa (Le matin où s’étale le temps). Elle est la première étrangère, née à l’étranger, lauréate de ce prix. Ce prix a consacré à trois reprises des membres de la communauté coréenne au Japon, mais avec Yang Yi, c’est la première fois qu’il couronne un écrivain dont le japonais n’est pas la langue maternelle 3.

Le roman Wan-chan (ou « Petite Wan ») a été traduit en anglais et est accessible dans la revue suivante : Japanese Literature Today, The Japan P.E.N. Club, n° 26, 2009, p. 38-89 (traduction de Kenneth J. Bryson).

Un marché matrimonial entre deux pays

La question de la globalisation du marché matrimonial tient une place importante depuis une vingtaine d’années parmi les travaux sur la féminisation des routes migratoires. En effet, aux côtés des études sur les migrations des spécialistes du soin à la personne, des travailleuses domestiques ou des travailleuses sexuelles, nombre de publications se sont intéressées aux migrantes par le mariage 4, un phénomène très largement féminin et particulièrement important en Asie de l’Est 5.

La réouverture des frontières à la fin de la guerre froide, la démocratisation des voyages et l’émergence d’Internet ont indéniablement joué un rôle important dans la globalisation du marché matrimonial et la diversification des intermédiaires et des modes de rencontre. Les mariages transnationaux, qui impliquent souvent une distance géographique et culturelle entre les futurs époux, supposent l’implication plus ou moins grande d’un intermédiaire. Dans le cas des tours-opérateurs spécialisés (on parle beaucoup dans le monde anglophone de romance tours et de marriage tours), les rencontres sont entièrement mises en scène et organisées par des agents intermédiaires ainsi que le décrivent Felicity Schaeffer, au Mexique et en Colombie 6, et Wang Hong-zen et Chang Shu-ming au Vietnam 7. Les agences matrimoniales internationales proposent des services divers selon le niveau d’autonomie des clients et la complexité des démarches administratives comme l’ont par exemple décrit Tomoko Nakamatsu, dans le cas des époux japonais, ou Riitta Vartti, dans le cas des époux allemands 8. De même, quand les rencontres se font sur les réseaux sociaux, les personnes sont dans certains cas autonomes, dans d’autres, aidées d’un intermédiaire qui connaît bien les sites et les ficelles de la communication virtuelle, tels les « moniteurs » des cybercafés de Yaoundé décrits par Monique Mfou’ou 9. Enfin, la médiation est parfois juste assurée par un proche ou une connaissance, grâce au bouche-à-oreille, souvent une personne ayant suivi la même route quelques années auparavant. C’est le cas de l’héroïne du roman, Wan-chan.

Au Japon, ce type de mariage a d’abord concerné des femmes de Corée du Sud et des Philippines à partir des années 1980.

Graphique 1~: Évolution des mariages internationaux au Japon 1980-2015
Graphique 1 : Évolution des mariages internationaux au Japon 1980-2015
Graphique 2~: Nombre de mariages entre femmes étrangères et hommes japonais 1980-2015
Graphique 2 : Nombre de mariages entre femmes étrangères et hommes japonais 1980-2015

Le phénomène prend de l’importance entre la Chine et le Japon dans les années 1990 alors que la République populaire de Chine ouvre progressivement ses portes. Chigusa Yamaura a décrit en détail ce phénomène à partir d’une recherche concernant les femmes du Nord-Est de la Chine, ancienne quasi-colonie japonaise. Dans nombre de régions japonaises, villes et campagnes, les mariages arrangés ont surtout concerné ces femmes du Nord-Est de la Chine. Le mode d’opération est très similaire à ce qui est décrit dans d’autres pays : un groupe d’hommes est constitué pour un voyage de rencontres matrimoniales en Chine. Au cours du séjour, des moments de rencontre sont organisés avec des femmes locales (repas, visites, etc.) qui sont l’occasion de faire connaissance. Les mariages peuvent parfois être décidés durant ces courts séjours, et très souvent l’homme revient pour un second séjour au cours duquel les démarches administratives sont entreprises ; parfois une cérémonie de mariage est organisée. L’homme repart seul au Japon et la femme le rejoint une fois les procédures de visa terminées, ce qui peut prendre trois à douze mois selon Yamaura 10.

C’est exactement ce type de « voyage matrimonial » qui est décrit dans le roman de Yang Yi. L’héroïne Wan-chan, ou de son nom japonais Mme Kimura, est une femme arrivée par mariage arrangé avec un homme japonais. Très isolée, elle s’ennuie rapidement dans la zone rurale où elle vit au Japon, alors qu’elle a toujours été active en Chine, dans le commerce du textile ou de l’immobilier par exemple. Non seulement elle s’ennuie mais elle ne supporte pas les colères de son mari quand elle dépense trop d’argent pour appeler sa mère en Chine. Elle décide donc de chercher un travail pour retrouver une indépendance financière. Lui vient alors l’idée de se faire intermédiaire pour des mariages transnationaux comme le sien. L’extrait ci-dessous décrit ses débuts.

Extrait du chapitre 11

Elle avait commencé par appeler des parents et des amis en Chine pour rassembler des photos de filles qui souhaitaient se marier avec un Japonais. En moins d’un mois, elle avec reçu bon nombre de photos par la poste, elle y avait joint des fiches de profils et avait ainsi créé tout un dossier. Voilà, elle était prête à se lancer sur le marché, mais il restait un obstacle de taille : son faible niveau en japonais. Elle avait fait une liste des entreprises de la région qui s’occupaient de rencontres matrimoniales, mais elle était incapable de communiquer au téléphone. Elle se débrouilla pour que sa belle-mère passe les coups de téléphone pour elle, mais pour les rendez-vous sur place, pas le choix, il fallait qu’elle s’en charge elle-même. Elle mit alors à profit son expérience passée en agence immobilière et tenta désespérément de communiquer grâce au langage des mains et du corps. Au final, son album photo fut son meilleur outil. Les jeunes et jolies filles offraient d’adorables sourires sur les photos. Tout professionnel du milieu se serait rendu compte qu’il s’agissait là de produits faciles à commercialiser. Wan-chan savait aussi y faire. Elle avait derrière elle de longues années dans le commerce. Les choses tournaient en sa faveur, elle reçut trois réponses positives d’agences matrimoniales qui souhaitaient travailler avec elle. Elle avait fait un premier pas vers son indépendance et en avait les larmes aux yeux.

Sa petite entreprise se développe peu à peu et le roman prend place autour d’une des opérations matrimoniales qu’elle a organisées : un voyage de rencontre pour lequel elle emmène en Chine quelques hommes de sa région de résidence au Japon, souvent recrutés par le bouche-à-oreille. Côté chinois, une coopératrice a recruté les femmes chinoises.

Extrait du chapitre 2

À cinq heures, la soirée de rencontres commença dans la salle à manger de l’auberge. La pièce était vaste, mais les rares petites ampoules au plafond ne diffusaient qu’une pâle lumière. En plus de l’obscurité, quinze femmes étaient venues pour rencontrer les six Japonais : l’atmosphère devenait étouffante. Quinze femmes dont les plus jeunes avaient la vingtaine et les plus âgées la trentaine. Elles faisaient un tel brouhaha qu’il semblait que la température de la salle à manger était montée de trois ou quatre degrés.

“J’ai refusé toutes celles de plus de quarante ans. J’ai fait passer à chacune d’entre elles un entretien rigoureux...” Plutôt orgueilleuse, Qiu Jie parlait avec un fort accent paysan. Les femmes étaient plutôt jolies et bien mises, mais leurs habits grossiers trahissaient leurs origines campagnardes. Wan-chan, qui avait le regard affuté par de longues années dans le commerce du textile, trouvait cela assez désagréable. Pourtant toutes ces femmes avaient manifestement fait de leur mieux pour se vêtir selon le “dernier cri”.

“La plus âgée a quel âge ?”

“36 ans, regarde, c’est celle-là avec un pull rouge. Wu Juhua qu’elle s’appelle, c’est une divorcée.”

Suivant la direction indiquée par Qiu Jie, elle vit près de la porte d’entrée une femme d’âge moyen au chandail rouge et au visage rond plein de santé. Sa poitrine généreuse était serrée dans son pull stretch et ses yeux étaient souriants. Partant de ce chandail rouge, c’était dans la pièce tout un dégradé de couleurs vives et mouvantes : verts, jaunes, violets. Les bavardages joyeux de ce groupe de femmes aux visages lourdement maquillés faisaient flotter une atmosphère paysanne simple et chaleureuse. Qiu Jie passa à Wan-chan les fiches de présentation avec les photos de chaque participante qu’elle avait préparées à l’avance. Wan-chan sortit elle aussi les fiches qu’elle avait pour les hommes et distribua des feuilles à chacun. Hommes et femmes, tout en regardant les fiches reçues, commencèrent à promener leurs regards sur les candidats de l’autre sexe. Cette agitation irritait Wan-chan. Cela lui rappelait l’ambiance des nombreuses rencontres arrangées auxquelles elle avait elle-même participé. À cette époque, il fallait payer 500 renminbi à chaque fois. Les femmes étaient systématiquement en nombre trois ou quatre fois plus élevé que les hommes et Wan-chan qui avait alors 33 ans faisait toujours partie des aînées. Les hommes japonais étaient tous assez âgés et peu séduisants, et pourtant ils choisissaient les uns après les autres de jeunes et jolies filles pour fiancées. Ah les hommes... Ce n’est pas qu’elle ne pouvait pas comprendre leurs sentiments, mais elle ne pouvait s’empêcher de les détester.

Cette fois encore c’était le même scénario. Wan-chan jeta malgré elle un regard furtif vers Uno qui se trouvait sur sa gauche. Uno était en train de dévorer du regard la jeune fille en veste violette assise en face de lui. Sur la fiche qu’il tenait dans la main, la photo de la fille le regardait fixement avec un sourire mielleux.

“Nous allons commencer par les présentations” dit Wan-chan en forçant sa voix. Étant donné que les uns et les autres ne se comprenaient pas, en fait de présentations Wan-chan appelait chacun des Japonais qui se levait et saluait d’un “nihao”, bonjour en chinois, puis Wan-chan indiquait en chinois leur lieu de résidence, leur âge, leur emploi, leurs revenus, etc., enfin l’homme prononçait un “xiexie”, merci, en s’inclinant et se rasseyait.

“Monsieur Yamauchi.” Un petit homme rond de 35, 36 ans se leva à la droite de Wan-chan.

“Nihao, je suis Ya-ya-yamauchi”, pour une raison quelconque, il avait les yeux rouges et boursoufflés, il tenta de sourire, mais son visage en devint inquiétant. La salle était devenue plus silencieuse.

“C’est le premier voyage en Chine de Monsieur Yamauchi. La nourriture chinoise, il n’est pas très habitué encore. Il a l’air un peu fatigué...” Wan-chan avait tant bien que mal pris le relais en chinois, mais intérieurement elle trouvait cela étrange que le visage de Yamauchi soit toujours gonflé.

“Monsieur Tsuchimura.”

“Nihao !” Un homme au teint mat qui se tenait à côté de Yamauchi se leva.

“Monsieur Tsuchimura, 45 ans, habite la préfecture de Ehime. Il gère une boutique de fruits et légumes. Revenus annuels, 4 millions de yens. Il possède sa maison et des terres en montagne. Il habite avec sa mère de 73 ans.”

“Merci, xiexie !” Tsuchimura repris sa place poliment.

Ce fut au tour des femmes de se présenter. Comme pour les hommes, les femmes se levèrent lorsque Qiu Jie prononçait leur nom. Elles saluaient en japonais d’un “Kon’nichiha”, et prononçaient un “arigatô” à la fin. Elles s’entrainaient depuis une semaine, mais “arigatô gozaimasu”, merci beaucoup, était trop long, beaucoup n’arrivaient pas à le prononcer correctement. Alors, au dernier moment, il avait bien fallu se résoudre à abréger en “arigatô”.

Wan-chan traduisit en japonais leur âge, occupation, etc.

“Zhang Lili”, une grande fille en jeans et chemisier à fleurs roses se leva en face de Wan-chan.

“Bonsoir. Je suis Zhang Lili. 24 ans. Je cuisine bien...” Zhang Lili s’exprimait avec aplomb en japonais à la grande surprise de Wan-chan, tout d’abord, et des participants japonais.

“Qui est-ce ?”

“C’est la petite-fille du maire. Il semble qu’en ayant entendu parler de l’organisation de rencontres matrimoniales, elle soit allée à la ville pour apprendre le japonais.”

Zhang Lili termina de se présenter sous les applaudissements des hommes.

“Dis donc, c’est que tu parles bien japonais...” dit Uno de sa bouche édentée.

“Merci beaucoup.”

“P-par hasard, vous n’auriez pas un a-a-ami japonais ?” dit Yamauchi en bégayant et son visage rougit un peu plus.

Zhang Lili qui n’avait pas bien saisi appela Wan-chan à son aide du regard. Celle-ci, soulagée, lui répondit en souriant.

“Euh, non non” dit Zhang Lili en inclinant la tête. Une épingle à cheveux qui retenait sa permanente envoya une étincelle.

“Sun Lingdi.” Pas de réponse. “Sun Lingdi !”

“Oui”, une femme d’apparence frêle répondit d’une voix faible en se levant dans le coin derrière Zhang Lili : “Bonjour” dit-elle en relevant un peu le visage. Une peau blanche et de grands yeux noirs, c’était une jolie femme.

“Cette petite a donné naissance à une fille l’année dernière et s’est fait chasser par sa belle-mère. Il y a six mois, elle a été contrainte de divorcer. La pauvre, elle est complètement déprimée. C’est sa mère qui est venue en me priant de faire quelque chose pour elle... La pauvre...” Qiu Jie s’épanchait sur ce cas à voix basse dans le creux de l’oreille de Wan-chan.

“Sun Lingdi, 26 ans, divorcée une fois, sans emploi.” Wan-chan lut son profil à voix haute sans montrer d’émotion. En lisant ce prénom, Lingdi, qui veut dire “recevoir un petit frère”, Wan-chan pensa qu’il ne devait pas y avoir de descendant masculin dans sa famille.

Une fois les présentations terminées, le repas commença. C’était un moment consacré aux échanges : deux ou trois femmes étaient installées à chaque table et les six hommes étaient censés se déplacer d’une table à l’autre avec leur assiette. Wan-chan s’installa avec Qiu Jie dans un coin et, tout en mangeant, attendait qu’on vienne la chercher quand il y avait besoin de traduction. Hommes et femmes n’avaient guère le temps de vider leur assiette et leur verre, tout occupés qu’ils étaient à tenter de faire connaissance.

“Ah, si on arrivait à former deux ou trois couples...” dit Wan-chan le regard dans le vide.

“Aucun souci.” Le visage de Qiu Jie se fendit d’un large sourire et ses yeux brillaient : “On n’a que des jolies filles, et jeunes en plus...”

“Hum.” Wan-chan acquiesça d’un mouvement de tête. Il ne fallait pas s’attendre à un taux de réussite de 100 %, mais son expérience lui disait qu’on pouvait espérer 70 à 80 % de réussite. Jusqu’ici elle ne s’était au mieux aventurée que dans des villes de district, c’était la première fois qu’elle organisait des rencontres dans une campagne pareille.

Outre l’écart de niveau de vie, la différence d’âge, qui est au cœur de cet extrait du roman, est un des critères qui mettent en exergue le déséquilibre entre les deux parties et le sentiment d’un « Nord » qui exploite le « Sud », de pays riches qui exploitent les pays pauvres en tirant profit de leurs femmes. Dans l’extrait ci-dessus, la collaboratrice de Wan-chan insiste sur le fait que la plus âgée des candidates chinoises a 36 ans et que toutes les femmes de plus de 40 ans ont été refusées. Les hommes ont plutôt la quarantaine ou la cinquantaine.

Les critiques à l’égard de l’organisation des mariages transnationaux dans la littérature académique 11, mais surtout dans le monde associatif, sont également alimentées par l’aspect succinct des procédures amenant des personnes qui se sont rencontrées une ou deux fois à s’engager dans le mariage.

Extrait du chapitre 11

Comme prévu, pendant les congés d’Obon au Japon [fête en l’honneur des ancêtres à la mi-août], cinq hommes qui avaient fait partie du dernier groupe de rencontres, plus quatre nouveaux candidats, se rendirent dans le même petit bourg que la dernière fois. Le maire, les habitants, tout le monde était rassemblé devant l’auberge considérée comme le meilleur “hôtel” du bourg. Ils étaient prêts pour la cérémonie de mariage collective. Tout était très rapide et, sans parler des Japonais, Wan-chan elle-même était mal à l’aise.

“Mme Kimura, au nom du bourg, je vous présente nos remerciements” dit le maire, grand-père de Zhang Lili, en venant à la rencontre de Wan-chan pour saisir sa main. “Merci, merci.” Et sa voix et sa main tremblaient, il semblait submergé par l’émotion.

“La mère de Sun Lingdi, la mère de Li Fangfang, et qui encore ?
Voyons... Peu importe, nous vous sommes tous redevables. Moi, je prends de l’âge, n’est-ce pas... et toujours je m’inquiète... Je souhaite que ces jeunes trouvent à bien se marier, je... c’était un poids qui pesait lourdement sur mon cœur.”

“Bien sûr... bien sûr...” Wan-chan ne pouvait qu’acquiescer.

Le jour après leur arrivée, les couples qui allaient rapidement se marier procédèrent à l’enregistrement de leur état civil. Le soir, Wan-chan et Qiujie se répartirent les tâches pour que l’une s’occupe de mener les nouvelles rencontres matrimoniales et l’autre d’organiser les visites de politesse pour les futurs mariés. La cérémonie de mariage collective était prévue pour le troisième jour, un jour faste du calendrier. Une fièvre semblait planer sur l’ensemble du bourg qui s’ajoutait à la chaleur de la mi-été.

Ces mariages express, au prisme de normes a priori modernes, démocratiques et féministes, se voient souvent nier la reconnaissance de ce que devrait être un « vrai mariage ». Mais la définition du mariage authentique ou désirable est-elle si univoque ? N’impose-t-on pas plutôt des valeurs morales au travers de ce que devrait être un « vrai mariage » ? Alors que les travaux sur les migrations par le mariage réalisés dans les pays occidentaux et asiatiques connaissent certaines divergences 12, tous ont permis d’observer la disqualification systématique du caractère commercial des mariages transfrontaliers car ils mettraient à mal l’égalité entre femmes et hommes et, par-là, les valeurs démocratiques 13. Nombre de travaux s’intéressent ainsi aux techniques de contrôle et de définition du mariage authentique au travers des discours, des lois ou des pratiques de guichet dans les consulats, les préfectures, etc. 14. Les mesures mises en place par les pays de départ ont également été étudiées. Elles sont alors légitimées par un discours de lutte contre le trafic des personnes, afin de répondre aux injonctions des standards internationaux de protection des femmes. Par exemple, pour contrôler les mariages transfrontaliers, le Vietnam a voté des restrictions aux mariages avec un étranger en 2002 et 2006 15 et les Philippines ont voté depuis 1990 une loi qui interdit les mariages par correspondance 16. Mais ce ne sont pas seulement les potentiels trafiquants qui sont pointés du doigt à travers ces lois, ce sont aussi les femmes qui, parfois assimilées à des femmes sans mœurs, sont jugées comme source d’érosion de la morale nationale 17. La frontière est parfois mince entre la critique du système et la critique des femmes elles-mêmes.

De facto, dans de nombreux pays, des associations féministes ont lutté contre ces mariages arrangés transnationaux. C’est le cas du Japon dans les années 1980-1990. Toutefois, les mobilisations de la société civile contre ces mariages transnationaux arrangés peuvent avoir un impact ambigu. Si la plupart des mobilisations civiles sont animées par le souci d’aider les personnes, les discours que les associations diffusent ont tendance à renforcer le stéréotype de la migrante passive et victime, et à imposer l’idée que les migrations par le mariage représentent un problème social 18. L’approche victimaire des migrations par le mariage, souvent privilégiée par les médias, le milieu des organisations humanitaires et les réseaux féministes, a pour aléa de venir nourrir des discours qui relèvent plus des valeurs et des normes morales sous couvert de dénoncer un trafic de femmes dont la réalité est difficile à démontrer. La valeur morale serait que le « vrai mariage », le mariage romantique, ne devrait pas se mêler d’argent. Ériger ainsi des frontières entre la sphère de l’intime et du marché a depuis longtemps été remis en question 19 car cette opposition entre les deux tend à moraliser les relations intimes et à nier l’agentivité des femmes migrantes. Ainsi, nombre de travaux de recherche se sont intéressés à la capacité d’action (« agency ») et de résistance des migrantes et ont décrit des réalités beaucoup plus complexes dans les relations de pouvoir 20. Ces travaux contribuent aussi à remettre en question le caractère indésirable de ces mariages en mettant en évidence la porosité, ou la fluidité entre les formes marchandes de l’intimité et les relations matrimoniales 21.

C’est aussi cette diversité des rapports au mariage, de ce que chacun vient y chercher, et la complexité des relations de pouvoir et des relations intimes que le roman de Yang Yi illustre comme nous le développons dans la partie suivante.

Les motivations et aspirations des femmes migrantes

Ainsi que je le développais dans un chapitre pour l’ouvrage Chinoises au XXIe siècle, les motivations des femmes sont intriquées : il s’agit pour nombre de femmes à la fois de migrer pour se marier et de se marier pour migrer 22.

Migrer pour se marier

Migrer pour se marier, car, dans nombre de cas, les femmes chinoises qui ont épousé des Japonais étaient des femmes qui rencontraient des difficultés à se marier en Chine. Ainsi dans l’extrait cité ci-dessus, une des candidates chinoises au mariage, Sun Lingdi, vient d’une famille où semble ne jamais naître de garçon, ce dont on fait porter l’entière responsabilité aux femmes. Cette fatalité rend les femmes de la famille difficiles à marier dans une société confucéenne comme le décrit l’extrait suivant :

Extrait du chapitre 2

“Cette petite Sun Lingdi, elle n’a pas de frères, hein ?”

“Exact, elle a quatre sœurs ! Naissance après naissance, des filles !
Ils voulaient un garçon et espéraient toujours que le suivant soit un petit frère, ainsi toutes les sœurs ont le caractère ’petit frère’ dans leur prénom, mais il n’y a rien eu à faire. On ne peut pas changer le destin. Une fois les filles mariées ils pensaient que tout irait mieux, mais il semble que les filles non plus ne puissent pas avoir de garçon, les familles des gendres les détestent. Même une fille aussi jolie que Lingdi a dû divorcer, la pauvre...”

“Madame Ki-ki-kimura”, c’était Yamauchi avec son visage boursoufflé qui l’appelait. “P-p-puis-je vous déranger un moment ?”

Wan-chan se leva et suivit Yamauchi.

Sun Lingdi les attendait avec un regard apeuré.

“Est-ce qu’elle v-v-voudrait d’un t-t-type comme moi ?”, son bégaiement s’était encore aggravé.

Wan-chan s’assit sur la chaise à côté de Sun Lingdi et posa sa main sur son épaule : “Yamauchi-san est quelqu’un de très bien, il a un visage un peu effrayant, mais...”

“Hum, moi ça me va, mais, c’est juste que...”

“Quoi ?”

“Il n’a jamais été marié, n’est-ce pas ?”

“En effet.”

“Si jamais on se marie, il va vouloir un enfant, non ?”

“Oui, je pense que oui. Tu ne veux plus avoir d’enfant ?”

“Je ne pourrai sûrement pas avoir de garçon...” dit-elle anxieuse en regardant par terre.

“Ah, c’était donc ça. Ce n’est pas grave. Les Japonais, ils ne s’inquiètent pas trop de ces choses-là.”

“C’est vrai ?”

Sun Lingdi était à demi rassurée et se calma un peu ; elle esquissa un sourire en regardant Wan-chan. Yamauchi debout à côté d’elles semblait avoir saisi la situation et se réjouissait. Son visage rouge était éclairé de son sourire et de perles de transpiration.

La soirée de rencontres avait bien duré trois heures. Wan-chan rejoignit sa chambre, épuisée. Ce soir elle pouvait enfin se laisser emporter par le sommeil.

Parmi les candidates chinoises au mariage, deux autres, Li Fangfang et Wu Juhua, sont décrites plus en détail dans le roman et sont aussi caractérisées par des situations de mariage difficiles.

Extrait du chapitre 3

Le jour suivant, après le petit-déjeuner, Wan-chan et Qiujie commencèrent à répartir les participants et à organiser les rendez-vous individuels sur la base des “listes d’intérêt” que les hommes japonais avaient remplies. Chacun avait eu la possibilité de demander jusqu’à trois rendez-vous individuels, mais Yamauchi n’avait écrit qu’un seul nom sur sa liste : celui de Sun Liding. “Ces deux-là, ça pourrait étonnamment marcher !” dit Wan-chan en montrant le papier à Qiujia.

“Je ne sais pas... C’est un peu comme la Belle et la Bête, non ? Je suis un peu désolée pour Linding. Si seulement il était...”

“Ce n’est pas l’apparence d’un homme qui compte. Plus il est charmant, plus il sera source d’ennuis.”

Qiujie se tut. Elle savait que l’ancien mari de Wan-chan était plus beau que nombre de top modèles masculins.

“À quoi ressemble un mari japonais ? demanda Qiujie après une pause, comme si elle lui demandait de dévoiler un secret.”

“Hummm...” Un silence suivit. Wan-chan semblait ne pas savoir quoi répondre.

“Hé ?” Déconcertée, Qiujie montrait un papier à Wan-chan. Je ne vois pas le nom de Lili sur la fiche de Uno.

Wan-chan regarda le papier et rit sans commenter : sur le papier d’Uno qui avait 55 ans les trois filles inscrites avaient toutes 22 ou 23 ans.

“Tiens, Tsushimura n’a noté que deux noms : Li Fangfang qui a 30 ans et Wu Juhua qui en a 36. Je me demande pourquoi. Il est un peu bizarre, non ?” dit Qiujie.

“Li Fangfang et Wu Juhua, elles ressemblaient à quoi ?”

“Bah ! Tu ne te souviens pas ? Celle dans un pull rouge avec de grands yeux, c’était Wu Yuhua. Je t’ai dit que c’était elle la plus âgée du groupe.”

“Ah oui, celle en rouge.” L’image de ce pull rouge serrant une poitrine généreuse revint à l’esprit de Wan-chan.

“Et Li Fangfang c’était la femme fine assise juste à côté de Wu Juhua avec de longs cheveux...”

“Les deux ont déjà été mariées une fois ?”

“Oui, Wu Juhua est divorcée. Li Fangfang est veuve.”

“Veuve ? Que s’est-il passé ?”

“Trois jours après leur mariage, ils étaient à moto tous les deux pour rendre visite à ses parents à elle et ils sont entrés en collision avec un camion. Lui est mort sur le coup, mais Fangfang n’a rien eu du tout. Étrange, non ?”

“Mon Dieu, pas une égratignure ?”

“Exact. Tu ne trouves pas ça bizarre ? Alors les gens ont commencé à dire qu’elle était une kefuming, une femme destinée à porter malheur à son mari.”

“Ça veut dire qu’elle n’arrivera pas à se remarier, n’est-ce pas ?”

“Oui, et pourtant c’est une bonne fille. Elle travaille dur...”

“Hum... et comment Wu Juhua s’est retrouvée divorcée ?”

“C’est une autre histoire triste. Elle s’est mariée avec Xiaozhu du village d’à côté quand elle avait 23 ans et a eu une petite fille.
Xiaozhu ne pouvait pas accepter de ne pas avoir de garçon. Alors ils se sont cachés pendant un an chez des parents dans un village rural en Anhui jusqu’à ce qu’ils aient un second bébé...”

“Encore une fille ?”

“Non, un garçon, mais ils ont eu une grosse amende à cause de ce second enfant.”

“Et ils ont divorcé ?”

“Non, non. Ils étaient ruinés. Son mari est parti à Shanghai avec d’autres villageois pour travailler. Au début, il envoyait de l’argent tous les mois, mais peu à peu l’argent n’arrivait plus et elle a fini par ne plus avoir de nouvelles de lui. Elle ne comprenait pas, elle est allée à Shanghai avec ses deux enfants pour voir ce qui se passait... Elle a découvert qu’il vivait en concubinage avec la sœur de Huang Sanqiang du village d’à côté.”

“Oh mon Dieu. Et après ?”

“Juhua et les enfants ont pleuré mais ont dit qu’il était hors de question de divorcer, et sa belle-mère a dit pareil, mais il a pris la fuite avec la femme après ça...”

“Le salaud.”

“Elle n’avait plus d’autre choix que de divorcer.”

“Les enfants ?”

“Sa belle-mère s’en occupe, mais elle vit à côté, c’est comme si elle les avait encore.”

“Je me demande laquelle des deux va finalement se marier avec Tsuchimura.”

“Bonne question. Je souhaite aux deux d’être heureuses.”

Les enquêtes montrent que beaucoup des femmes chinoises mariées à l’étranger, au Japon ou à Taïwan, avaient des enfants d’un premier mariage. Melody Lu 23 a montré comment les contrats oraux entre les futurs époux mentionnent la prise en charge financière des enfants de la femme chinoise, que ceux-ci restent en Chine sous la responsabilité de parents proches ou qu’ils rejoignent la mère et soient parfois adoptés si le père est décédé. Quand la femme a des enfants, c’est bien sûr un obstacle supplémentaire pour se remarier.

Le choix de ces histoires est fidèle aux récits collectés sur les terrains de recherche. De nombreuses femmes chinoises nouent un second mariage à la suite d’histoires de couples difficiles. Cette réalité a été confirmée par les statistiques japonaises qui montrent dans les années 2000 que, parmi les épouses chinoises migrantes, la proportion de femmes divorcées est élevée. Les statistiques du ministère japonais de la Santé, du Travail et des Affaires sociales indiquaient en 2005 que la proportion de cas de second mariage (après un divorce ou un veuvage) pour les femmes chinoises s’étant mariées avec des Japonais s’élevait à plus de 40 %, niveau le plus élevé parmi les épouses étrangères 24. Les entretiens, les miens ou ceux par exemple de Saihanjuna 25, confirment que le divorce ou le veuvage sont une des motivations au mariage à l’étranger, au Japon comme vers d’autres pays. La stigmatisation d’une part et la charge des enfants à élever parfois seule d’autre part sont des facteurs pour choisir un mari à l’étranger, ce que relève bien le roman de Yang Yi.

Par ailleurs, toujours selon le ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales du Japon, en 2005, l’âge des femmes chinoises au moment du mariage avec un homme japonais était de 31,7 ans. Il s’agit d’un âge moyen relativement élevé si l’on compare aux femmes japonaises (dont l’âge moyen au mariage était de 29,4 ans en 2005 26) et encore plus aux femmes chinoises dont l’âge moyen au mariage selon les chiffres du recensement de 2000 était de 23,5 ans 27. Là aussi, les enquêtes de terrain permettent de confirmer que, jusqu’aux années 2000, le fait de dépasser la trentaine diminue considérablement les chances de se marier. Il s’agit de dysfonctionnements du marché matrimonial assez classiques dans les sociétés qui s’urbanisent et où le niveau d’éducation des filles rattrape celui des garçons. Le roman de Yang Yi souligne combien les bouleversements économiques et politiques de la Chine des années 1980 et 1990 ont un impact sur la société et les familles, et donc sur les femmes, comme cela a été documenté par Marylène Lieber et Tania Angeloff dans leur ouvrage Chinoises au XXIe siècle 28. Ces transformations et l’ouverture des frontières de la Chine ont transformé les flux migratoires, créant de nouveaux régimes migratoires en Chine, par exemple dans les régions du nord de la Chine qui n’avaient pas jusque-là de traditions d’émigration internationale, comme c’est le cas pour les régions côtières du Sud. Ceci a été décrit par Xiang Biao 29 ou, dans le cas de l’immigration des Chinois du Nord en France, par Florence Lévy 30.

Parmi ces femmes divorcées, toutes n’ont cependant pas été rejetées par la belle-famille ou perdu leur mari à la suite d’un décès. Certaines femmes ont aussi pris l’initiative de fuir des mariages malheureux, des maris irresponsables ou violents, des belles familles intolérantes. C’est le cas de l’héroïne Wan-chan, dont le premier mari chinois, très dépensier, la ruinait et avait une emprise psychologique forte qui la poussait toujours à partir plus loin pour lui échapper : elle a ainsi recommencé sa vie plusieurs fois dans différentes villes de Chine avant de décider de partir encore plus loin, là où il ne pourrait plus aller la solliciter, au Japon.

Se marier pour migrer

Se marier pour migrer, car beaucoup espèrent aussi trouver un meilleur cadre de vie ou bien simplement partir à l’aventure quand il n’existe pas beaucoup de routes migratoires possibles. Au-delà du souci de rentrer dans la norme en se mariant ou de retrouver une forme de sécurité, beaucoup d’autres raisons sont évoquées dans les entretiens avec ces migrantes chinoises. Elles expriment leurs aspirations à trouver un mari plus compréhensif ou plus moderne, un cadre de vie plus sain ou plus attrayant.

Je raconte souvent un des premiers entretiens réalisés avec une femme chinoise au Japon qui m’avait fait réaliser combien la désirabilité d’une route ou la hiérarchie entre les statuts de résidence pouvaient varier selon l’expérience de chacun (ici la sienne et la mienne). Ma Li a migré au Japon au début des années 1990 avec un visa d’épouse, à la suite d’un mariage arrangé. Au moment de son départ, elle travaillait pour le bureau de météorologie de Beijing depuis cinq ans. Ma Li a migré avant tout pour échapper à ses parents : son grand frère avait quitté Pékin pour la lointaine île de Hainan au sud, et elle se retrouvait seule avec ses parents. Ces derniers exerçaient une pression sur Ma Li pour qu’elle épouse un homme diplômé d’une université. Le souci de l’image de la famille primait sur d’autres choix. Ma Li avait effectivement réalisé des études universitaires, mais ses amis étaient plutôt issus de milieux modestes. Pour échapper à cette pression, Ma Li envisageait de partir pour le Japon afin de reprendre ses études. Mais, partir comme étudiante à l’étranger n’était pas une perspective rassurante pour son père. Ma Li avait très envie d’aller au Japon et se montra intéressée quand une amie de sa mère parla de la possibilité de se marier avec un Japonais. Comme on parlait de mariage, et de plus avec un Japonais, les parents cessèrent de se préoccuper du statut social et de la réussite. Partir pour se marier était signe d’une réussite et surtout de stabilité financière alors que partir pour étudier aurait impliqué de faire des petits boulots et de se retrouver dans une forme de précarité peu enviable. Alors que le mariage me paraissait un choix beaucoup plus risqué, Ma Li me le présentait comme une route bien plus sécurisante 31.

Beaucoup de femmes, comme Ma Li, espèrent en se mariant au Japon profiter de ce que le mariage a longtemps permis, à savoir une mobilité sociale vers le haut, ce qu’on appelle l’hypergamie. Dans ces mariages transnationaux, l’hypergamie est en réalité souvent « paradoxale 32 » : ces mariages offrent certes des opportunités économiques améliorées mais souvent une position sociale dévaluée. C’est ce que décrit Yang Yi dans son roman et qu’elle résume bien dans ce paragraphe :

Extrait du chapitre 2

Au tout début de son entreprise, elle avait pris pour cible les femmes de Pékin, de Shanghaï ou d’autres grandes villes. Mais ces femmes regardent beaucoup trop les séries télévisées japonaises. Elles s’imaginent que le Japon c’est partout des villes modernes et animées, que l’on vit forcément dans des résidences de haut standing, que, pendant que le mari va travailler, elles iront, parées d’accessoires chics et vêtues de robes à la mode, faire du shopping dans les grands magasins et prendre le thé avec des amies dans des cafés à l’occidentale. Elles se méprennent en croyant pouvoir mener une vie élégante. Quand elles arrivent dans ce Japon rêvé, ce qu’elles trouvent en réalité c’est la campagne et les montagnes les plus reculées où l’on ne voit parfois pas un seul être humain ; c’est un mari âgé qui vit avec ses parents. Le jour on sort pour aller aux champs et quand le soleil se couche le soir et qu’on rentre, la cuisine, le ménage et la préparation du bain les attendent. Pour des femmes élevées en ville, c’est difficile à accepter. Déçues, beaucoup divorcent et rentrent en Chine, d’autres disparaissent, c’est beaucoup de complications.

Au cours de mes enquêtes, des associations de soutien aux épouses étrangères de la préfecture de Yamagata (des associations qui assurent souvent des cours de japonais, de l’aide administrative, mais font aussi parfois de la médiation de couple ou du suivi juridique en cas de violences conjugales) ont témoigné de la déception, voire de la colère, surtout chez les femmes chinoises venues des villes et qui se retrouvent à la campagne 33. Nos enquêtes semblent montrer que les femmes chinoises, plus que les Coréennes et les Philippines, refusent souvent catégoriquement de participer aux travaux agricoles. Les tâches agricoles leur apparaissent dévalorisantes, l’image qu’elles ont des « paysans » est celle de personnes non éduquées, rustres. Mes entretiens ainsi que les travaux de Saihanjuna déjà cités mettent en évidence les stratégies pour tenter de « rattraper » ce déclassement social en mettant en place une éducation des enfants pour qu’ils « sortent de la campagne ».

L’extrait du roman cité ci-dessus introduit aussi un autre aspect des migrations par le mariage que nous allons développer dans la prochaine partie : celui des tâches qui incombent souvent à ces femmes (comme aux femmes japonaises de manière générale), telles les tâches domestiques, de soin et de relations sexuelles qui peuvent être analysées dans un même ensemble sous le concept de travail reproductif.

Les contextes ruraux : crise démographique et crise de la prise en charge du travail reproductif au Japon

Extrait du chapitre 2

Pour des hommes de la campagne, autant aller chercher des partenaires dans la campagne. Partie de ce constat, Wan-chan se mit promptement à la recherche d’une collaboratrice parmi ses parents et trouva Qiu Jie. En quelque sorte, elle recherchait de nouveaux débouchés et la soirée de rencontres d’aujourd’hui était un essai, un premier pas sur ce marché.

Si les mariages transnationaux arrangés ne concernent pas seulement les zones rurales, les expériences rurales au Japon ont été particulièrement bien documentées. Premièrement, l’arrivée d’épouses de pays étrangers dans des petites villes ou des villages ruraux a été très visible. Si, au contraire de la Corée du Sud, le gouvernement central du Japon n’a pas promu l’entrée d’épouses étrangères, les autorités locales ont, elles, souvent été très actives dans certaines parties du pays 34. Le cas de la petite ville d’Asahi, dans le département de Yamagata, est un des exemples les plus connus. En 1975, les autorités locales avaient commencé à subventionner, voire organiser, des rencontres matrimoniales : il s’est d’abord agi de créer un service de conseil matrimonial et de proposer des séjours de ski ou de dégustation de vin auxquels les femmes des villes proches étaient invitées. En 1985, fort de son expérience en « activités matrimoniales » (konkatsu), Asahi met en place une coopération avec les autorités d’une localité philippine et une agence matrimoniale internationale. La petite ville japonaise décide de subventionner les voyages de célibataires japonais aux Philippines, initiative qui a été imitée par d’autres villes et villages, puis très critiquée par des associations féministes japonaises. À la suite de ces critiques, ce sont souvent des agences privées ou des indépendants qui ont pris la suite. L’arrivée d’épouses de Corée, des Philippines ou de Chine s’est poursuivie jusque dans les années 2000 avec un soutien plus ou moins direct des autorités locales 35.

Les études sur les épouses migrantes s’inscrivent dans les réflexions sur le processus de dépopulation, les politiques de revitalisation des zones rurales et les politiques migratoires restrictives du Japon. L’évolution démographique du Japon est bien connue, c’est aujourd’hui un des pays les plus âgés du monde. Les transformations démographiques concernent aussi le nombre de personnes jamais mariées. Les rapports et les médias ont tendance à insister surtout sur ce qu’ils considèrent comme un problème, le nombre d’hommes célibataires et qui sont représentés dans la catégorie statistiques des « hommes de plus de 50 ans n’ayant jamais été mariés ». Leur proportion serait passée de moins de 4 % en 1985 à plus de 15 % en 2005. Dans certains villages, des études indiquent que 70 % des hommes resteraient célibataires 36. Le déclin du mariage (et de la mise en couple) est couramment attribué aux difficultés économiques, aux désirs des femmes de faire carrière ou, dans les régions plus traditionnelles, à la charge des beaux-parents qui repose sur les fils aînés. C’est dans ce contexte que des autorités locales ont soutenu financièrement les mariages transnationaux dans les années 1980.

En effet, les migrations d’épouses ne répondent pas seulement à des logiques individuelles et de relations intimes, elles sont aussi une possible solution aux problèmes de dépopulation et de vieillissement dans les zones rurales japonaises comme ailleurs. Ces femmes sont attendues dans l’espoir de fonder une famille, mais aussi de maintenir un système social où la prise en charge des soins se fait essentiellement au sein de l’unité familiale. En 1997, Nicola Piper a été l’une des premières à penser les migrations par le mariage en termes de travail. L’auteure décrit ces mariages comme un moyen peu coûteux pour les hommes d’obtenir des services domestiques et sexuels. Le Japon est le pays riche de la région asiatique où la politique migratoire reste la plus restrictive dans le secteur du travail du soin à la personne et encore plus dans celui du travail domestique 37.

La prise en charge de ce travail de soin est mise en scène dans le roman de Yang Yi. On pense bien sûr aux soins pour les personnes âgées. C’est le cas de Wan-chan elle-même qui s’occupe de sa belle-mère bien plus que son mari. Mais il peut aussi s’agir du souci des soins aux maris eux-mêmes vieillissants. C’est le cas de M. Uno, personnage rebutant du livre. Les précédents extraits de roman ont indiqué que cet homme de 55 ans n’avait porté ses choix que sur des femmes ayant la vingtaine. Il a finalement décidé de demander en mariage Li Fangfang, la femme soupçonnée de porter malheur à ses maris. Après la cérémonie de mariage, tous attendent que leurs épouses obtiennent un visa pour entrer au Japon, or la réponse pour Li Fangfang prend du retard et est finalement refusée. M. Uno s’énerve car il a besoin d’avoir quelqu’un à ses côtés alors qu’il va être hospitalisé.

Extrait du chapitre 12

Uno était devenu très agité en apprenant que Sun Lingdi avait obtenu son visa. Il racontait qu’il était anxieux car son docteur lui avait dit que son problème d’hémorroïdes s’était aggravé et qu’il fallait qu’il subisse une opération chirurgicale au plus vite. Uno se sentait en insécurité si personne n’était là pour prendre soin de lui. [...] Fin décembre, ils apprirent que le visa de Li Fangfang avait été refusé. Uno était furieux ; Wan-chan était inquiète et ne savait pas quoi faire. Quand ils demandèrent les raisons du refus, on leur répondit que la différence d’âge entre les deux personnes était trop grande, ce qui pouvait être un signe de mariage blanc. Dans le café, Uno ne fit aucun effort pour cacher sa colère.

Des enquêtes menées à Taïwan ou à Singapour, où l’immigration de travailleuses domestiques est beaucoup plus développée qu’au Japon, soulignent que la migration par le mariage est une alternative pour les familles n’ayant pas les moyens d’avoir recours à des services de soins payants 38 ou pour des hommes âgés célibataires prévoyant qu’ils n’auront pas les moyens de payer une aide à domicile ou une maison de retraite. La chercheuse Melody Lu a étudié le cas particulier de vétérans chinois qui, réfugiés à Taïwan à la fin de la guerre civile chinoise, n’y ont pas de famille. Les vétérans représentent environ 10 % de l’ensemble des époux de migrantes et l’âge moyen des hommes au moment du mariage est particulièrement élevé (69 ans). Les motivations sont clairement formulées en termes de services recherchés : « we need someone to care for us in old age. It is cheaper and easier to marry a mainland or a foreign wife than hire a maid 39 ». La négociation des échanges entre époux est parfois contractualisée de façon très claire : il s’agit de soins pour le vétéran âgé, en échange, par exemple, de la prise en charge financière des enfants de l’épouse chinoise (éducation, logement).

Les soins recherchés peuvent aussi concerner un membre handicapé de la famille. Ainsi, dans le roman, Wan-chan doit aussi s’occuper du frère de son mari dont les troubles mentaux ne semblent pas bien diagnostiqués et qui tombe dans une totale déliquescence lorsque la belle-mère de Wan-chan est hospitalisée. Sur la question des personnes handicapées, une autre étude réalisée à Taïwan par Wako Asato 40 a montré, à partir d’une analyse des statistiques et des rapports du ministère de l’Intérieur taïwanais, que, parmi les personnes handicapées mariées en 2006, 10,2 % l’étaient à une épouse migrante, et la proportion était de 34,1 % dans le cas des handicapés mentaux mariés.

Enfin, plus simplement, ces mariages visent aussi à assurer une descendance comme c’est le cas d’un des clients de Wan-chan, Katsuo Tsuchimura. C’est la mère de M. Tsuchimura qui résume nombre des attentes envers le mariage au cours d’une discussion avec Wan-chan qui lui rend visite.

Extrait du chapitre 8

“Cette personne-là a 36 ans. C’est Wu Juhua, et elle a deux enfants...”

“Ah... elle a l’air bien... et elle peut avoir des enfants ?”

“Pas de soucis, cette femme aime les enfants et elle aime travailler...”

“Hummm, Katsuo travaille dur. Il n’a aucune mauvaise habitude... Ni la cigarette, ni les femmes...”

“...”

“Mon garçon, il n’a pas eu de chance avec son mariage. Elle n’appréciait pas d’être la femme d’un marchand de fruits et légumes et elle ne lui a pas donné d’enfant... Trois ans après leur mariage, elle a eu une aventure avec un autre homme et passait la nuit ailleurs. Katsuo est devenu furieux et l’a mise dehors. Et puis il a dû payer des compensations et une pension, que des problèmes... Mon garçon avait juré de ne jamais se remarier. Et puis, dernièrement ma hanche va de plus en plus mal et je ne peux presque plus bouger...” Après avoir tant parlé, son visage avait pris des couleurs. “Je pense qu’il s’inquiète de savoir comment il va s’occuper de moi. En tout cas, tout à coup il s’est mis à parler de mariage. Il m’a dit qu’il allait profiter de la semaine de jours fériés début mai pour aller en Chine. J’étais très surprise ! Mais s’il peut s’installer avec quelqu’un, je pourrai partir tranquille.” Un sourire passa sur son visage.

“Mais vous savez, il faut qu’il rencontre quelqu’un de bien. Plutôt une personne gentille qu’une jolie personne... Quelqu’un qui sache travailler. Pas besoin de s’occuper de moi, mais il faut s’occuper de Katsuo et du magasin... Et puis aussi, j’aimerais voir le visage d’un petit-enfant... Même si ma hanche n’est plus bonne, je peux m’occuper d’un enfant...”

La notion de travail reproductif permet de recouvrir l’ensemble des tâches qui sont attendues des épouses, migrantes ou non : depuis la procréation jusqu’au travail du soin à la personne, en passant par le travail de reproduction sociale qui est moins visible dans ce roman. J’ai détaillé ces différents aspects du travail reproductif qu’assurent les femmes migrantes en les organisant en trois principales catégories 41. Premièrement, renouveler la force productive de travail, autrement dit procréer, avoir des enfants, assurer au quotidien le travail domestique — la cuisine, le ménage, la lessive, les courses —, mais aussi assurer le travail intime, celui des relations émotionnelles et sexuelles. Deuxièmement, prendre soin des personnes dépendantes (ce qui est le sens restreint donné au travail du care), en particulier enfants et parents âgés. Troisièmement, assurer le travail de reproduction sociale, c’est-à-dire renouveler la force productive au niveau qualitatif cette fois : assurer l’éducation des enfants, mais aussi leur socialisation, ainsi que les tâches de socialisation du foyer en général, la participation à la vie communautaire 42. Pour cette dernière catégorie, la question de la langue peut paraître un obstacle, et les valeurs transmises par l’éducation peuvent entrer en conflit. De fait, les municipalités d’accueil ont souvent concentré leurs actions de soutien aux femmes étrangères sur la question de l’accompagnement dans leur rôle de mère. Un des exemples intéressants est celui d’une localité ayant créé en 2008 un manuel intitulé « Le japonais pour élever son enfant, à destination des mères étrangères » (Gaikokujin hahaoya no tame no kosodate nihongo hyōgen 外国人母親のための子育て日本語表現). On peut lire en introduction « Nous avons réalisé ce manuel pour les mères mariées à des Japonais et élevant leurs enfants au Japon ». L’iconographie met en outre en avant une image extrêmement normée de la famille tout en rendant invisible l’altérité de la mère.

Pour conclure

Au-delà du cas japonais, le terme de travail reproductif est souvent repris dans les travaux sur les migrations par le mariage qui ont privilégié une analyse de ces mariages sous l’angle de la migration de travail 43. Ce terme permet de croiser des analyses sur des routes migratoires qui relèveraient d’une part de la migration de travail (travailleuses domestiques, aides-soignantes, etc.) et d’autre part de la migration familiale (épouses de nationaux ou de résidents étrangers) 44. Il permet de réintroduire, au sein des travaux sur la globalisation du travail de soin à la personne 45 ou sur les nouvelles formes de division internationale du travail 46, le cas du travail réalisé dans la sphère privée et non rémunéré, et de mettre en évidence les continuités entre travailleuses migrantes et épouses migrantes.

Le roman de Yang Yi dialogue de manière imagée avec les enquêtes de terrain, les miennes ou celles d’autres chercheuses, que j’ai présentées dans ce chapitre. Il rend compte des deux contextes socio-démographiques : celui du départ dans une Chine en pleine transformation au cours des années 1990 et celui de l’arrivée dans un Japon qui accuse, dès cette époque, la dépopulation de ses zones rurales. Toutefois, le roman n’aborde pas certains questionnements sur ces mariages sino-japonais, tels ceux sur les représentations héritées de l’histoire commune. L’expression de sentiments anti-japonais en Chine est postérieure au boum des mariages transnationaux entre les deux pays. Ces mariages ont surtout été nombreux dans les années 1990 et au début des années 2000, alors que l’attractivité économique du Japon est forte. Toutefois, la question du mariage avec des hommes de l’ancien pays envahisseur n’est pas un sujet absent des esprits, en particulier dans la région Nord-Est de la Chine qui avait été colonisée sous la façade de l’État fantoche du Mandchoukouo. Yamaura Chigusa a réalisé une analyse passionnante de la façon dont les intermédiaires matrimoniaux ont retourné la situation en insistant au contraire sur les liens de sang qui liaient l’ancienne Mandchourie au Japon pour promouvoir ces mariages. Inversement, l’attitude hostile à l’égard de la Chine se développe au Japon et ne rend pas non plus ces unions évidentes. Les intermédiaires développent ainsi un discours pour faire de ces femmes des fiancées désirables 47. En outre, comme évoqué ci-dessus, dans les années 1990 et 2000, les autorités locales ont plutôt soutenu ces mariages internationaux, quelle que soit la nationalité des femmes, afin de maintenir la vie communautaire.

Les mariages sino-japonais transfrontaliers reculent aujourd’hui. Non seulement leur nombre diminue de manière générale, mais encore plus pour ceux qui relèvent de voyages organisés, ou de rencontres sur internet. La population chinoise au Japon est nombreuse et les agents matrimoniaux privilégient aujourd’hui les rencontres sur place. Le recul de ces mariages transnationaux depuis le milieu des années 2000 n’est pas évident à analyser : la société japonaise accepte-t-elle mieux le célibat ? Le Japon est-il moins attractif pour les femmes étrangères ? Ces femmes étrangères sont-elles moins discriminées aujourd’hui dans leurs sociétés d’origine, en particulier en Chine et en Corée du Sud où le déséquilibre démographique entre femmes et hommes leur donne un avantage sur le marché matrimonial ?